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les ames des défenseurs de l’église. Reprenez courage, leur disait-il, concevez une vive espérance ; fixez vos regards sur l’étendard du roi éternel, où il est écrit : C’est dans votre patience que vous posséderez vos ames. Mais à la troisième année du siége, la persévérance des Romains se prit à défaillir. Henri était revenu devant Rome plus ardent et plus résolu à tout employer pour triompher. Il emporta la cité Léonine ; il éleva un fort sur le mont Palatin. Unissant à la force la ruse et la corruption, il séduisit par des présens plusieurs des principaux citoyens ; puis il rendit la liberté à quelques évêques captifs, et laissa pénétrer dans Rome tous ceux qui voulurent y entrer. Aussi, autour de Grégoire, les plaintes commencèrent à éclater ; on le supplia de prendre le pays en pitié, de se réconcilier avec Henri ; et comme le pape fut inflexible, le mécontentement du peuple le contraignit à se retirer, avec ses partisans, au château Saint-Ange. Enfin, après plusieurs alternatives de découragement, de nouveaux efforts pour le pape et de sentimens favorables à l’empereur, les Romains ouvrirent la porte de Latran à Henri, qui fit une entrée solennelle avec l’anti-pape Guibert. Le rival de Grégoire fut installé sur le saint-siége, sous le nom de Clément III ; Henri reçut la couronne impériale, et s’établit dans Rome comme dans sa propre maison : Romam ut propriam domum habere cœpit. Cependant Robert Guiscard, qu’appelait à grands cris Grégoire VII, rassemblait une armée de trente mille hommes d’infanterie avec six mille cavaliers, et le bruit de sa marche détermina Henri à quitter Rome avec Clément. L’arrivée de Guiscard fit trembler les Romains, qui avaient déposé Grégoire ; ils refusèrent l’entrée de leur ville au Normand, qui trouva le moyen de pénétrer de nuit dans Rome, et la désola sans pitié. Pendant trois jours, la cité pontificale fut au pillage ; peu s’en fallut que toutes les églises et toutes les basiliques fussent incendiées. Le pape fut ramené par son libérateur au palais de Latran ; puis il se détermina à quitter Rome ; il se rendit au mont Cassin, et de là à Salerne.

Grégoire se séparait des Romains parce qu’il les méprisait : il était d’ailleurs arrivé à ce moment suprême où l’homme abdique volontiers la vie ; il était las, et il se mit à oublier les combats qu’il avait rendus, dans la lecture des livres saints et de l’histoire ecclésiastique. Ses forces déclinaient aussi. Au mois de mai 1085, il lui devint impossible de se lever. Rangés autour de son lit, les cardinaux et les évêques qui lui étaient restés fidèles écoutaient ses discours. Il leur disait qu’il les recommanderait avec instance au Dieu souverainement bon. Il leur défendait de reconnaître personne pour pape,