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LA PAPAUTÉ AU MOYEN-ÂGE.

qui se sont le plus mêlés à leurs semblables, pour les conduire et les changer, se sont préparés par la solitude à leur tumultueuse grandeur. Moïse et Mahomet ont habité le désert avant de remuer les multitudes ; Hildebrand a vécu sous les silencieux arceaux d’un cloître, avant d’ébranler l’Europe. Quand plus tard ces puissans anachorètes passent de leur retraite dans la foule, ils sont encore d’autant plus seuls, qu’ils sont plus grands, et ils éprouvent que la vraie solitude au milieu des hommes est dans la force de l’esprit. Après un voyage à Rome, Hildebrand revint à Cluny, dont il fut le prieur ; il sortit encore de sa solitude pour paraître à la cour de l’empereur, et même s’il faut en croire un témoignage, pour donner des soins à l’éducation du jeune Henri. Quoi qu’il en soit, il fit une impression profonde sur l’empereur, qui disait n’avoir jamais entendu prêcher la parole de Dieu avec une si haute confiance. On raconte même que sur la foi d’un songe bizarre qui lui avait montré Hildebrand armé de cornes et roulant son fils dans la boue, Henri III l’avait jeté dans un cachot dont l’aurait fait sortir la gracieuse intervention de l’impératrice Agnès.

De retour à Cluny, le prieur put méditer sur le spectacle qu’il quittait. Il avait vu l’église dans la plus complète dépendance de l’empire, l’empereur nommant le pape et le remplaçant même dans les soins et le ministère spirituel ; car la simonie était alors si scandaleuse qu’elle avait Henri III pour adversaire, et que c’était le roi des Allemands, et non pas le souverain pontife qui avait prononcé cette sentence : Aucune fonction sainte ne doit être le prix de l’or, et celui qui veut l’acquérir ainsi doit être privé de ses honneurs. Quelle leçon ! c’était un laïque, et non pas un prêtre, qui gémissait sur l’église, et lui adressait des reproches d’une accablante justice. Mais encore quelques momens, et l’esprit sacerdotal se réveillera ; il brûle, ardent et sombre, dans le cloître de Cluny, et l’un des papes nommés par l’empereur va recevoir d’Hildebrand une inspiration, premier signe d’une grande résistance. Bruno, évêque de Toul, choisi par Henri, sous le nom de Léon IX, dans un synode à Worms, se rendit à Cluny, où il arriva en habits pontificaux le jour de Noël : il y trouva le prieur Hildebrand, qui sut bientôt le persuader et le dominer. Après de longs entretiens, il reconnut que l’empereur n’avait pas le pouvoir d’élire un pape, et que ce droit appartenait tout entier au peuple et au clergé de Rome ; aussi, docile aux suggestions du prieur, Bruno ne voulut entrer dans la ville pontificale que pieds nus, dans l’appareil d’un pèlerin, en déclarant qu’il retournerait à Toul, si le peuple et le clergé ne confirmaient pas son élec-