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notre vieille ardeur militaire ? et ne serions-nous pas fous de braver l’Europe et de l’attaquer pour répondre aux reproches de lâcheté qu’une opposition oisive adresse au gouvernement depuis huit ans ? Et pourquoi la France se jetterait-elle ainsi au travers de l’Europe ? Jamais les circonstances ne nous furent plus favorables, malgré quelques embarras partiels et passagers. L’alliance de l’Angleterre et de la France, sauvegarde des libertés constitutionnelles en Europe, n’a jamais été commandée par des circonstances plus impérieuses. La Russie et l’Autriche, la Russie et l’Angleterre sont en lutte pour leurs intérêts en Orient, et cette rivalité ne cesserait que si la France inquiétait ces états en cherchant à renouveler en Europe la grande lutte révolutionnaire. La Prusse a ses embarras du côté du Rhin et du duché de Posen. Le système d’alliances qu’elle voulait établir entre la noblesse westphalienne des anciens cercles du Rhin et la noblesse militaire de la vieille Prusse, a causé de profonds mécontentemens parmi ses nouveaux sujets, et les questions religieuses ont encore étendu et agrandi ces germes. La Bavière et la Prusse se font une guerre sourde et acharnée sur le terrain des questions protestante et catholique. La rivalité entre l’Autriche et la Prusse s’est augmentée par l’effet du système de douanes prussien, et l’alliance de famille entre la Prusse et la Russie couvre à peine les dissentimens que font naître chaque jour les nouveaux intérêts commerciaux de ces deux états. Tant que la France s’est montrée jalouse de sa parole, tant qu’elle a respecté religieusement les traités, les différens états de l’Europe ont cru pouvoir se livrer avec sécurité à leurs motifs réciproques de divisions ; mais un geste menaçant de la France, fait mal à propos, suffirait pour rétablir en Europe la bonne harmonie de 1815 et de 1830. Déjà, depuis le commencement de la discussion de l’adresse, les rapports les plus exacts nous ont appris que toutes les grandes puissances se remettent sur le pied de guerre. L’Autriche remplit les cadres de son armée, la Prusse rappelle ses landwehr et ses réserves, la Russie fait avancer des troupes sur la Vistule, et arme ses flottes de la mer Noire. Enfin, l’ordre est donné, en Angleterre, de mettre sur un pied plus respectable la flotte, et, ce qui est plus sérieux, l’armée de terre. M. Thiers et M. Guizot vantent sans cesse le cabinet du 13 mars. Ce ministère n’avait qu’un but, faire désarmer l’Europe, réduire les factions, et il y parvint. Qu’a fait la coalition, qu’a produit M. Guizot, quel résultat a obtenu M. Thiers, qui, avec le talent et l’éloquence, a aussi la popularité qui manque à M. Guizot ? Leur ouvrage est sous nos yeux. Ils ont fait armer de nouveau l’Europe, et ils ont relevé les factions !

Il n’importe, les reproches ne tarissent pas et tombent à la fois sur le gouvernement et sur les amis actuels de M. Thiers. Dans sa lettre aux électeurs de Lizieux, M. Guizot se plaint du peu de fermeté du gouvernement à l’intérieur ; il demande un pouvoir fort, décidé, un chef qui force le pays à le suivre, et sans doute M. Guizot ne demande pas un chef qui mène la France dans une voie opposée à celle des doctrinaires. Dans sa lettre aux élec-