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REVUE. — CHRONIQUE.

puissances qui les ont accordés, n’étaient pas conjurées contre la France, résolues à sa perte. Leur noble modération était un retour dû à la noble modération de la France. »

M. Thiers ajoutait encore que le principe de non intervention, établi par M. Molé, ne pouvait s’appliquer au monde entier. On ne peut, disait-il, l’appliquer qu’à certains états, à ceux dont les intérêts sont communs avec les nôtres, et il ne doit s’étendre qu’aux pays compris dans notre rayon de défense, c’est-à-dire la Belgique, la Suisse et le Piémont. Il n’est donc pas question de la Romagne ! — « Si la France eût fait autrement, dit M. Thiers, outre qu’elle prenait envers tous les peuples le fol engagement que nous venons de dire, elle acceptait la guerre contre l’Autriche, c’est-à-dire contre l’Europe, pour deux provinces italiennes ; elle faisait pour ces provinces ce qu’elle n’avait pas voulu faire pour se donner la Belgique ; elle changeait, pour les intérêts des autres, un système de paix qu’elle n’avait pas changé pour ses propres intérêts ; en se compromettant, elle jouait la liberté du monde pour la liberté de quelques cités italiennes. Ou les raisons qu’elle avait eues de renoncer au Rhin étaient insuffisantes, ou, si elles étaient suffisantes, elles devaient lui interdire de marcher aux Alpes, bien entendu, la Suisse et le Piémont restant intacts.

« Engager l’Autriche à se retirer, lui interdire de séjourner dans ces provinces, engager Rome à adoucir, à améliorer leur sort, était tout ce qu’on pouvait : sinon, on entreprenait une croisade universelle. La France avait tout risqué pour la Belgique, elle aurait tout risqué pour le Piémont ; elle ne le devait pas, elle ne le pouvait pas pour Modène et Bologne.

« Une autre question s’élevait d’ailleurs, question effrayante, celle de la papauté. L’insurrection réussissant, la papauté était obligée de s’enfuir et de prendre la route de Vienne, car nous n’étions pas là pour lui faire prendre celle de Savone ou de Paris. Or, nous le demandons, on sait ce que la papauté a fait à Paris ! Qu’eût-elle fait établie à Vienne ? Figurez-vous le pape à Vienne, tenant dans ses mains les consciences dévotes du midi et de l’ouest de la France ! C’était la guerre religieuse, jointe à la guerre territoriale et politique. C’étaient trois questions à la fois. »

Enfin, un an après la publication de cet écrit, M. Thiers le complétait en disant ces mémorables paroles à la chambre : « Qu’il me soit permis de m’étonner que les mêmes hommes qui se sont plaints que la France manquât de résolution et de dignité, qu’elle se laissât enlacer dans des négociations sans fin, viennent aujourd’hui se plaindre qu’on ait voulu mettre un terme à ces négociations, et faire exécuter les traités. La France a déjà montré une résolution qu’on a louée : c’est lorsqu’elle a dit que la Belgique ne serait pas envahie par une armée prussienne. Tout le monde a applaudi au noble courage que la France a déployé ce jour-là. Il fallait encore donner une autre preuve de résolution, il fallait dire : Des traités ont été signés, ils seront exécutés. »