Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/556

Cette page a été validée par deux contributeurs.
552
REVUE DES DEUX MONDES.

ne vivait que par de déplorables transactions avec un parti qui la dominait, et qui, dans tous ses actes et à toute heure, semblait demander pardon d’user quelque peu du pouvoir qu’elle avait reçu pour faire exécuter les lois et contenir les partis dans les limites de l’ordre. Ce spectacle, vu de si près, fut bien instructif pour l’esprit élevé de M. Thiers, car il se hâta de se rallier, avec M. Guizot, à l’homme ferme qui sauva le pays, déjà plongé dans l’anarchie, en rétablissant le sentiment de l’autorité en France. M. Thiers le suivit, et l’administration du 11 octobre vécut des principes du 13 mars. Uni alors aux doctrinaires, M. Thiers et ses amis du centre gauche travaillèrent glorieusement à maintenir le système fondé au 13 mars par M. Casimir Périer. Aujourd’hui les mêmes hommes, séparés pendant quelque temps, se réunissent pour le renverser. La monarchie de juillet, depuis neuf années orageuses qu’elle existe, leur semble-t-elle donc déjà à l’abri des dangers de son origine, qu’ils travaillent à la saper, ou du moins qu’ils retirent les mains qui la soutenaient, pour les mettre dans celles de ses adversaires ? Est-ce que les partis ont cessé d’agir contre elle, est-ce qu’ils se sont calmés au point qu’on puisse marcher avec eux quand on fait profession d’aimer la monarchie de juillet, leur faciliter les moyens de s’emparer des voies légales et des postes parlementaires, où ils pourront combattre avec moins de danger et plus de chances de succès que sur la place publique ? M. Thiers et M. Guizot évoquent souvent le souvenir du 13 mars. Que dirait Casimir Périer en les voyant alliés à ceux qu’il a combattus si énergiquement dans l’émeute et dans la chambre, et sur lesquels il a remporté la victoire qui a pacifié intérieurement la France ? Et M. Thiers lui-même, qui a tenu si long-temps dans ses mains les républicains sous la clé des prisons du mont Saint-Michel, qui leur a refusé, au 22 février, l’amnistie donnée depuis par le ministère de M. Molé ; M. Thiers, qui n’a pas hésité à s’emparer de Mme la duchesse de Berry, quand elle attentait au repos public, et l’a fait sortir d’une prison d’état, dépouillée de ce beau nom qui, aux yeux des siens, était son titre à réclamer le gouvernement de la France ; M. Thiers recherche l’appui et les votes de deux partis qu’il a si durement traités ! Cet appui, les partis le prêtent avec joie, non pas à un ancien ministre du 11 octobre, non pas à l’ami du gouvernement de juillet, mais à un homme qui se trompe doublement quand il croit que les traités peuvent se déchirer sans qu’on ait la guerre, et quand il dit que la France de juillet peut supporter sans danger un assaut tel que celui qu’il lui livre aujourd’hui. Le parti républicain et le parti légitimiste savent bien que ce n’est pas au bénéfice de M. Thiers et de ses amis du 11 octobre, que triomphera la coalition ; aussi se hâtent-ils de voter avec eux et de les soutenir dans les élections. M. Berryer voit assez quelles chances s’ouvriraient pour lui dans la guerre, et M. Garnier-Pagès a montré assez clairement à la tribune quelle puissance domine M. Odilon Barrot, qui, par la force des choses et la nature de leur opposition, domine ensemble M. Guizot et M. Thiers.

Nous ne refusons aucune sorte de justice à M. Thiers ; mais, en ce mo-