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REVUE. — CHRONIQUE.

officiels de M. Thiers et de ses amis les coalisés, ont annoncé que l’on s’était promis mutuellement de s’appuyer dans les colléges électoraux. Ce n’est donc pas là une simple rencontre, une sorte de réunion fortuite, et M. Thiers, en annonçant que sa destinée le condamne à combattre les républicains et les légitimistes, veut sans doute parler de ce qu’il fera dans l’avenir. Dans le moment présent, il combat avec eux et pour eux, et son influence est employée ouvertement à leur faciliter l’entrée de la chambre. Il y a plus, c’est que, pour les questions extérieures, du moins, M. Thiers veut tout ce que veulent ses adversaires futurs. Dans la question sur la Belgique, sur l’Espagne, sur la convention d’Ancône, M. Thiers a pris des conclusions toutes conformes à celles de M. Garnier-Pagès et de M. Odilon Barrot. Le but est différent sans doute, mais qui juge bien, qui juge mal de la portée de ces principes et de leur effet sur l’avenir ? Lequel a raison de M. Thiers, qui en espère le maintien de la monarchie de juillet, de M. Barrot, qui en attend la réalisation du fameux programme de l’Hôtel-de-Ville, ou de M. Garnier-Pagès, qui compte en voir sortir l’établissement de la république ? C’est ce qu’il appartient aux électeurs de décider. Leur décision sera bien utile ou bien funeste à la France.

M. Thiers en appelle à ses antécédens, il a embrassé franchement la révolution de juillet ; il lui a rendu des services qu’elle lui a bien payés en honneurs, en éclat, en réputation ; il veut la servir encore en réclamant pour elle une politique nationale, et un régime parlementaire franchement entendu et accepté. En un mot, M. Thiers demande au ministère actuel ce que l’opposition demandait à M. Thiers quand il était ministre, et quand elle l’accusait d’être un ministre de camarilla, qui s’entendait avec la sainte-alliance. Les termes de M. Thiers sont plus modérés, mais l’accusation est la même ; et nous désirons pour M. Thiers, mais sans l’espérer, qu’elle soit portée contre lui (car elle le sera à coup sûr) dans les termes qu’il emploie lui-même aujourd’hui. Il verra, malheureusement, que ses amis actuels ne suivront qu’en partie son exemple, et qu’ils l’accuseront de toutes ces choses avec leur véhémence et leur rudesse d’autrefois.

Nous rendons toute justice à l’habileté avec laquelle M. Thiers justifie sa politique passée. Il fallait soutenir un gouvernement né d’un soulèvement populaire et de la défaite de la force publique. M. Thiers vint à son aide ; il aida au rétablissement de la force publique, qui était démoralisée, et qui avait besoin qu’on la rappelât au sentiment de sa puissance et de son devoir. Ce fut là sa première tâche et son premier effort.

Loin de tenter de diminuer le mérite qu’eut M. Thiers à cette époque, nous l’augmenterons encore à ses propres yeux, en lui rappelant quelques circonstances qu’il peut avoir oubliées. M. Thiers faisait alors partie du ministère de M. Laffitte en qualité de sous-secrétaire d’état, et ses fonctions le rapprochaient assez du président du conseil pour qu’il eût sans cesse sous les yeux le spectacle déplorable d’une administration qui s’abandonnait elle-même,