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REVUE MUSICALE.

nul grand rôle créé ne consacre encore parmi nous. C’est l’heure de rassembler toutes ses forces, et elle semble prendre plaisir à les éparpiller : sa voix naissante, encore frêle en certains endroits, ne peut que contracter de fâcheuses habitudes dans la pratique de ce genre mesquin. Chanter en quatre langues dans la même soirée, est un luxe qui témoigne d’une aptitude merveilleuse, mais dont la musique tient moins de compte que d’une scène de Paisiello ou de Mozart, dite dans le style et l’expression des maîtres. Après tout, il n’y a pour le chant qu’une langue, l’italien.

On peut dire que la Malibran revit parmi nous ; de tous côtés les souvenirs de ce génie harmonieux se réveillent. Avant que Pauline Garcia ne nous eût rendu quelque chose de l’inspiration ardente de sa sœur, Mme la comtesse Merlin avait écrit sur la sublime cantatrice un livre plein de mélancolie et d’intérêt, semé çà et là d’aimables digressions musicales et de fort ingénieuses critiques. Nous n’aimons pas ces lettres que Mme Merlin a cru devoir ajouter comme appendice. Cet en-train familier, ce ton de mauvaise plaisanterie, que nul trait d’esprit ne rachète, ne conviennent ni à l’élégance du livre, ni à l’idéal qu’on se fait de l’héroïne. Il n’est pas permis à Sémiramide ou à Desdemona d’écrire de pareilles fariboles. Nous conseillons vivement à Mme la comtesse Merlin de retrancher ces pages à une nouvelle édition. Pour revenir sur le sentiment critique de ce livre, nous citerons çà et là d’excellentes appréciations de la Pasta, de la Pisaroni, de Garcia et de tous les chanteurs de la grande école italienne. Personne plus que Mme Merlin ne semblait être appelé à ce genre de travaux. Cantatrice du premier ordre elle même, sa voix doit confier nécessairement à sa plume bien des mystères qu’on ignore. On rencontre en outre dans ce livre certaines petites remarques qui, pour ne point toucher aux plus hautes questions de l’art, ne sont pas sans attrait ni sans charme ; celle-ci, par exemple : « Maria donna Otello pour son bénéfice le 30 mars. L’enthousiasme fut à son comble. Pour la première fois, les couronnes et les bouquets apparurent sur la scène italienne à Paris. Maria eut les prémices de ce doux hommage qui va si bien aux femmes, et qui pénètre si loin dans leur cœur. D’une nature nerveuse et romanesque, elle aimait les fleurs avec passion ; et lorsque, tuée par son amant, elle gisait morte sur la scène, qu’Otello, dans sa douleur furibonde, s’apprêtait à se donner la mort et à tomber à son tour, elle lui répétait tout bas : Prenez garde à mes fleurs, prenez garde à mes fleurs ! » Autre part Mme Merlin nous dit à quelle représentation fut introduite à Favart cette mode, aujourd’hui en vigueur, de tailler en pièces les partitions des maîtres, et de composer le spectacle avec deux actes séparés d’opéras divers. On le voit, ce sont là des annales qui ne peuvent être tenues que par une femme de goût et d’esprit, qui a sa loge aux Italiens.

Nous ne parlerions pas ici d’un livre qui se publie à la gloire de M. Berlioz, si l’écrivain obscur qui en a rédigé les pages ne semblait avoir pris à tâche de poursuivre de sa colère ébouriffée tous les malheureux qui osent sourire quand on leur parle du génie de l’auteur de la Symphonie fan-