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SPIRIDION.

marché sur les eaux. — Quoi d’étonnant ? reprit le digne homme qui ne me comprenait pas ; la seule chose étonnante, c’est que saint Pierre ait douté, lui qui voyait le Sauveur face à face.

Je revins tout de suite au monastère, pour rendre compte à l’abbé de mon message. J’aurais dû m’épargner cette peine, et me souvenir que les moines se soucient fort peu de la règle, surtout quand la peur les gouverne. Je trouvai toutes les portes closes ; et, quand je présentai ma tête au guichet, on me le referma au visage, en me criant que, quel que fût le résultat de ma démarche, je ne pouvais plus rentrer au couvent. J’allai donc coucher à l’ermitage.

J’y passai trois mois dans la société de l’ermite. C’était vraiment un homme des anciens jours, un saint digne des plus beaux temps du christianisme. Hors de l’exercice des bonnes œuvres, c’était peut-être un esprit vulgaire ; mais sa piété était si grande, qu’elle lui donnait le génie au besoin. C’était surtout dans ses exhortations aux mourans que je le trouvais admirable. Il était alors vraiment inspiré ; l’éloquence débordait en lui comme un torrent des montagnes. Des larmes de componction inondaient son visage sillonné par la fatigue. Il connaissait vraiment le chemin des cœurs. Il combattait les angoisses et les terreurs de la mort, comme George le guerrier céleste terrassait les dragons. Il avait une intelligence merveilleuse des diverses passions qui avaient pu remplir l’existence de ces moribonds, et il avait un langage et des promesses appropriés à chacun d’eux. Je remarquais avec satisfaction qu’il était possédé du désir sincère de leur donner un instant de soulagement moral, à leur pénible départ de ce monde, et non trop préoccupé des vaines formalités du dogme. En cela, il s’élevait au-dessus de lui-même ; car sa foi avait dans l’application personnelle toutes les minuties du catholicisme le plus étroit et le plus rigide : mais la bonté est un don de Dieu, au-dessus des pouvoirs et des menaces de l’église. Une larme de ses mourans lui paraissait plus importante que les cérémonies de l’extrême-onction, et un jour je l’entendis prononcer une grande parole pour un catholique. Il avait présenté le crucifix aux lèvres d’un agonisant ; celui-ci détourna la tête, et, prenant l’autre main de l’ermite, il la baisa en rendant l’esprit. — Eh bien ! dit l’ermite en lui fermant les yeux, il te sera pardonné ; car tu as senti la reconnaissance, et, si tu as compris le dévouement d’un homme en ce monde, tu sentiras la bonté de Dieu dans l’autre.

Avec les chaleurs de l’été cessa la contagion. Je passai encore quelque temps avec l’ermite avant que l’on osât me rappeler au cou-