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étouffer sa voix, Mme Albertazzi imagine de chanter sans lui. Ainsi, dans l’entrée de Malcolm, au premier acte, elle épie le moment où les fanfares ont cessé pour émettre une note bizarre à laquelle elle s’efforce de donner, avec une affectation risible, l’accent le plus mâle qu’elle trouve dans sa poitrine et que chacun prend pour un bruit que l’écho de la salle renvoie à ses oreilles. Rubini chante, au second acte de la Donna del Lago, une cavatine qu’on peut avoir entendue autrefois dans Ricciardo et Zoraïde. Je ne sais au juste à laquelle de ces deux partitions elle appartient ; mais ce qu’il y a de certain, c’est que David la chantait dans Ricciardo, et la chantait à ravir. Rubini dit cette cavatine avec une puissance d’organe, une facilité de vocalisation qui tiennent du prodige ; large et pathétique dans l’adagio ; vif, entraînant, prodigue de richesses frivoles et de traits éblouissans dans la cabalette, qu’il enlève. Cependant, s’il fallait opter, dans ce morceau, entre Rubini et David, il me semble que je n’hésiterais pas à me décider pour ce dernier. Il y avait sans doute chez David moins d’éclat et de séduction, mais, à coup sûr, plus de passion chaleureuse et d’enthousiasme sincère. On sait quel étrange chanteur était cet homme, surtout vers les dernières années de sa carrière musicale. Il n’avait, la plupart du temps, qu’un éclair par soirée, mais un éclair de génie : il fallait, pour un moment d’émotion vraie, supporter durant trois heures toutes les pasquinades ridicules de son extravagante personne ; mais aussi, quand venait ce moment tant désiré, qui jamais regretta de l’avoir payé trop cher ? On se souviendra toujours du David de l’admirable duo de la Gazza, lorsque son inspiration s’allumait tout à coup à l’étincelle du génie de la Malibran, et grandissait ensuite, dévorant tout autour d’elle ; du David de la cavatine de Ricciardo : on ne voyait plus alors le soldat grotesque ou le Turc affublé d’oripeaux ramassés au hasard à la friperie, mais le chanteur sublime dont l’inspiration s’exhalait en notes de flamme. Le triomphe de Rubini est toujours la cavatine de la Niobe.

Nous ne parlerons pas de Roberto Devereux, hâtive production d’un maître que sa facilité déplorable égare. Quels que soient les dons que vous teniez de la nature, un opéra ne s’improvise pas en quelques jours ; on n’aboutit de la sorte qu’à mettre au monde des ébauches dont nul ne vous sait gré, car le plus souvent ces tristes œuvres, fruits de l’insouciance ou de l’orgueil, échouent devant le public. Et quant à la critique, elle n’a garde de s’en occuper. La critique, en effet, serait bien dupe de prendre au sérieux des choses que leur auteur lui-même traite avec si peu d’importance. Donizetti a mieux réussi avec l’Elisir d’Amore. Ce n’est pas qu’il y ait dans cette partition beaucoup plus de soin et d’invention que le maestro n’a coutume d’en mettre dans ses œuvres. Mais au moins cette fois, on peut le dire, il a été mieux inspiré ; la veine mélodieuse s’est ouverte, et de grosses larmes de joie ont coulé, de sorte qu’à cette malheureuse imitation d’Anna Bolenna a succédé un excellent opéra bouffe, écrit dans les meilleures traditions de l’ancienne école italienne, une musique facile, joyeuse, épanouie ; une musique, après tout, d’assez bon aloi. Comme on le pense, on n’a pas manqué de comparer l’opéra