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s’exalte encore de la ferveur de son catholicisme, car elle est catholique ferme et croyante, et l’obstination de son fils dans l’hérésie l’afflige plus que sa propre infortune ; elle déclare même, dans une missive à don Bernard de Mendoça, que si l’héritier de son trône persiste à soutenir la cause de la réforme, elle léguera au roi de France la couronne d’Écosse.

Ces lettres apportent-elles à l’histoire des élémens nouveaux et d’un intérêt supérieur ? Marie Stuart, Philippe II, Henri III, s’y révèlent-ils, chacun dans sa sphère si tranchée, sous un jour nouveau ? Je suis loin de le penser. Cependant, de ces confidences intimes, de ces plaintes à demi voilées de la sœur d’Élisabeth, s’échappent, çà et là, quelques nuances délicates qu’il importait de recueillir. La pitié qu’inspirait, à tant de titres, la reine d’Écosse devient plus vive encore après la lecture de ces lettres, car au milieu des luttes de sa vie et de son époque, elle garde un grand côté d’ame et de cœur, qui est une exception au XVIe siècle. Elle garde, surtout pour la France, pour cette terre où elle avait laissé la meilleure part de sa vie, un souvenir singulièrement vif et doux. Elle est, pour ainsi dire, de la paroisse des rois de France, et c’est aux moines de Saint-Denis, aux chanoines de Reims qu’elle demande des prières, avant de s’agenouiller près de ce billot fatal, sur ce coussin noir, que les sœurs, les femmes, les maîtresses des rois d’Angleterre devaient tour à tour tacher de leur sang.

Quant au mode de publication adopté par M. le prince de Labanoff, il est étrangement sobre de pensées et de style. Pas un mot de pitié pour cette grande infortune, pas un jugement dans le cours entier du volume. Tout le travail de l’éditeur se borne à une exacte mais très sèche chronologie de l’histoire de Marie Stuart, de 1542 à 1587, à quelques détails graphiques, à un avertissement qui n’apprend rien ; Bréquigny a fait à peu près seul tous les frais des notes insignifiantes insérées au texte. Les lettres, les dépêches se suivent brusquement, et sans qu’une appréciation nette et rapide les lie entre elles ou donne la juste mesure de leur valeur, en les rattachant aux évènemens contemporains. Procéder de la sorte, même dans une simple publication de textes, c’est se réduire au rôle utile sans doute, mais facile à l’excès, de scrupuleux correcteur d’épreuves.


Que conclure de tout ce bulletin, cette fois ? Qu’il y a volontiers en France de beaux et de très beaux commencemens, qu’en poésie, depuis quelques années, il y en a eu beaucoup et perpétuellement ; qu’en érudition, en philosophie, tout à l’heure il n’y en aura pas moins. Puissent, nous le répétons, ces derniers efforts se soutenir plus entièrement que les autres, et aboutir, par l’étude, à leur monument ! Avoir bien commencé, c’est avoir peu fait encore. Ce siècle a donné et donne chaque matin tant de démentis à l’antique adage :

Dimidium facti, qui benè cepit, habet,
qu’il finira par nous ramener en tout au mot de Buffon, lequel nous parut si scandaleux d’abord, que le génie c’est la patience.