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avec un fer rouge des vers obscènes sur le sein des femmes quand elles avaient vieilli.

L’histoire de l’esclavage antique se trouve reconstituée dans ce livre, non pas toujours avec suite et méthode, mais du moins avec un intérêt soutenu. L’auteur annonce un travail général et complet ; nous l’engageons à persister dans cette pensée. Mais s’il veut que son œuvre prenne rang dans la science, il importe, avant tout, d’en faire disparaître la manière et la prétention ; nous l’engageons à choisir moins légèrement ses autorités, à ne citer que des noms qui aient cours dans le monde des études sérieuses, à se défier sagement de cette école qui substitue le rêve à la déduction simple et logique, le paradoxe à la réalité. Nous insistons sur ce point ; car, de notre temps, à force de chercher à être neuf, on n’arrive souvent à n’être que faux, et nous avons vu le bon sens français, si clair et si précis, se voiler complètement, même en des esprits distingués, sous les ténèbres du symbolisme et de la formule.


Essai sur l’organisation de la tribu dans l’antiquité, traduit du russe de M. Koutorga[1]. — « L’histoire est l’exposé des faits dans la mesure des rapports humains. L’élément principal des faits considérés sous ce point de vue est donc l’homme. » Cette phrase, empruntée à la préface du traducteur, M. Chopin, donne, ce semble, la mesure de l’esprit lucide, dans lequel cette préface est conçue. La philosophie de l’histoire est une grande science, sans doute, mais il n’appartient qu’aux esprits éminens de l’aborder avec quelque succès, et mieux vaut cent fois, pour les talens vulgaires ou médiocres, la simple érudition de l’école bénédictine, qu’un pastiche sans couleur, et souvent inintelligible de Herder ou de Vico. Qu’est-ce en effet, que la signification humanitaire d’un évènement, le recommencement stérile et fatal de l’histoire de l’humanité, les doctrinaires de la science ? L’avant-propos du traducteur est tout dans ce style et dans cette manière, et le travail de M. Koutorga, bien qu’il ait quelques parties estimables, offre aussi en bien des pages de semblables défauts. Il serait difficile d’en donner une analyse complète et suivie. Ce qui manque, avant tout, à ce livre, c’est l’unité. L’auteur traite d’abord de la tribu en général, comme élément primitif des sociétés, puis de la tribu dans l’Attique et la Germanie ; mais partout il emprunte et confond les théories trop souvent obscures et vagues de l’Allemagne et les systèmes de la critique française. Il y a indécision et chaos. MM. Creuzer et Grimm paraissent exercer sur ses études une influence immédiate, qui le jette souvent dans une route embarrassée, et il est juste de reconnaître qu’il doit à l’étude de nos historiens, les seules parties nettes et précises de son livre. Les travaux de MM. Thierry, Guizot, Naudet lui sont familiers, et par un remarquable sentiment de justesse, malheureusement incomplet en lui, il choisit exclusivement en France ses autorités parmi les écrivains de l’école positive, tandis que d’autre part il s’appuie sur

  1. In-8o, Paris, Didot, 1839.