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pas l’auteur. Rien n’est plus clair, plus net, plus méthodiquement enchaîné que le travail de M. Ravaisson sur Speusippe. On est complètement convaincu, après la lecture, de la vérité des assertions de l’auteur, et c’est là un résultat rare, même dans l’histoire de la philosophie. La justesse des aperçus, la perspicacité des rapprochemens et la rigueur presque mathématique des pensées, mettent cette dissertation à part et parmi les meilleures qu’on ait depuis long-temps présentées à la Faculté des Lettres de Paris. Il en est de même du travail de M. Ravaisson sur l’habitude. Je n’ai point la prétention de donner une analyse de cette dissertation dogmatique. La forme concise, brève, aphoristique même, employée par M. Ravaisson, empêche qu’on puisse ôter à sa pensée aucun des développemens nécessaires et rigoureux qui lui sont propres, et sans lesquels elle apparaîtrait incomplète et mutilée. Il y a, entre toutes les affirmations psychologiques de M. Ravaisson, une cohésion si étroite à la fois et si profonde, qu’elles échappent au résumé et à l’analyse.

M. Maine de Biran, dans un très remarquable mémoire présenté à l’Institut, en 1802, avait déjà étudié l’influence de l’habitude sur la faculté de penser. Aujourd’hui M. Ravaisson va plus loin et il épuise dans tous les sens, au fond et à la surface, cette question de l’habitude, l’une des plus curieuses, des plus abstraites que se puisse poser la philosophie. Dans cette étude, M. Ravaisson n’est pas resté au-dessous de ce qu’on devait attendre de l’auteur de l’Essai sur la Métaphysique d’Aristote. La nouveauté et la profondeur des nuances psychologiques saisies par M. Ravaisson assurent à ce mémoire une place élevée dans les productions philosophiques de notre temps, et continuent dignement le début de l’auteur. La merveilleuse facilité avec laquelle M. Ravaisson traite, dans un style sévère et admirablement exact, les difficiles problèmes sur lesquels la philosophie s’interroge depuis tant de siècles, autorise donc et justifie les espérances que la science place en lui. On a généralement reproché à la première partie de sa dissertation une obscurité exotérique, terminologique, qui ne résulte pas, tant s’en faut, du manque de propriété dans les termes et de précision dans les pensées. Cela tient plutôt au langage aristotélique qu’a emprunté M. Ravaisson, à la difficulté même du sujet, et à la manière scolastique qu’il a cette fois adoptée. Heureusement M. Ravaisson a d’autres maîtres encore que l’illustre auteur de la Métaphysique ; il est autant élève de Leibnitz que d’Aristote ; il écrit dans l’idiome de Mallebranche et de Descartes ; et après avoir parlé la langue de la science, comme il convient au début, il parlera quelque jour la langue de tous, nous n’en doutons pas ; car il a droit plus que personne à devenir populaire.


De l’esclavage antique, par M. de Saint-Paul[1]. — L’histoire doit-elle absoudre ou condamner l’esclavage ? Était-ce, comme on l’a dit, une

  1. Montpellier, 1 vol. in-8o.