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duire en résultats immédiats sur la société, ne lui réservait que des sarcasmes et du mépris. Nous, au contraire, dans la situation un peu confuse et indifférente que nous ont faite les évènemens, nous remontons sans haine à l’étude de ces âges chrétiens, et nous nous éprenons même d’admiration pour des croyances que nous n’avons plus, pour des dévouemens qui seraient au-dessus de nos forces. Triste privilége que celui des âges critiques ; triste bienfait peut-être que cette impartialité devenue facile par la même aptitude successive à tous les systèmes, par le manque commun de but et de désir ! M. Ozanam a emprunté à notre temps cette curiosité historique, cette sympathie pour les hommes et les choses du moyen-âge, cette justice éclectique pour tous les partis, assez générales aujourd’hui. De plus, voulant une unité qui échappe au grand nombre, il semble se rattacher par ses sympathies à cette jeune école catholique, qui n’a fait que cotoyer un instant M. de Bonald, à cette école brusquement délaissée par M. de Lamennais, et à laquelle demeurent fidèles, en philosophie M. Gerbet, en histoire M. de Montalembert. La vivacité et l’ardeur sont restées à ces écrivains, comme un nécessaire héritage de Joseph de Maistre. Ils sont absolus dans leurs assertions. Ainsi M. de Motalembert, dans sa belle monographie d’Élizabeth de Hongrie, immole complètement la littérature provençale aux trouvères[1] ; M. François Huet, dans une remarquable thèse, nie complètement Bacon. Je ne sais quels résultats moraux obtiendront en définitive ces courageux adeptes dans le pêle-mêle des idées et la confusion des penchans qui caractérisent notre société ; mais ce qui me paraît positif, c’est qu’au point de vue de la science, il faudra beaucoup rabattre de leurs affirmations exclusives.

M. Ozanam appartient sans nul doute à l’école catholique, mais les inspirations qu’il demande souvent à l’éclectisme tempèrent ce qu’il y aurait volontiers d’absolu dans ses jugemens. En s’attaquant au grand génie de Dante, dont l’admirable poésie a été comme le dernier mot et le majestueux couronnement de la civilisation et des croyances chrétiennes jusqu’au XIIIe siècle, M. Ozanam s’est fait de nouveau l’interprète des tendances qui nous ramènent à l’œuvre immense du poète florentin. Dans la Divine Comédie, dans le traité de Monarchia, dans le Convito, dans le de Eloquentia, on trouve éparses les idées philosophiques de Dante, qui ne fut pas docteur en théologie, parce qu’il ne put point payer son diplôme. Réunir en un faisceau ces assertions isolées, mais qui constituent une véritable doctrine philosophique chez le poète, reconstruire avec des indications nombreuses et abondantes les croyances du plus grand poète de l’Italie et peut-être de l’Europe moderne, examiner à la lumière de Platon et d’Aristote, de saint Bonaventure et de saint Thomas, les cercles sans fin de ce poème qui suit l’homme dans sa destinée tout entière et qui ne le laisse qu’aux pieds de Dieu : tel est le but que s’est proposé M. Ozanam, et je dois dire qu’il n’est pas demeuré au-dessous de cette tâche difficile. Le mal, puis le mal et le bien dans leur rapproche-

  1. M. Ozanam au contraire, p. 71, fait à tort puiser les troubadours dans les hagiographes.