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REVUE LITTÉRAIRE.

de la nature, et même de touchantes situations de cœur. Pourquoi, au moment où le sérieux commence, une ironie moqueuse vient-elle gâter ou gaspiller tout cela ? Je lui passerais certains chapitres où, rangeant des vers sous air de prose, il s’amuse à les faire filer comme des troupes déguisées et à mystifier le lecteur qui n’y prendrait pas garde ; ces chapitres-là sont une critique lutine du jargon lyrique à la mode : ils valent mieux que notre critique sérieuse. Mais, dans l’intervalle qui sépare la mort de Mme Lauter et son enterrement, lorsqu’on en est aux vraies larmes, comment glisser sous le titre du Premier Jour de Mai un de ces chapitres bigarrés qui ont le masque d’une parodie ? En suivant plus à bout la Geneviève de M. Karr, je ne finirais pas de réitérer les mêmes regrets, toujours redoublés, il est vrai, des mêmes éloges : ce qui deviendrait d’un ennui que ce léger et facile roman ne mérite pas. J’achevais de le lire mercredi matin, tandis que se faisait aux faubourgs populeux cette descente anniversaire qui, d’un seul flot, refoule notre humanité perfectible aux beaux jours de l’antique Sardanapale, et je me disais, en entendant ces échos lointains : « N’est-ce donc pas une débauche aussi que tant de grace, de sensibilité, d’esprit fin et d’observation morale, s’employant et s’affichant uniquement pour mettre du noir sur du blanc, comme on dit, et pour vider l’écritoire ? — N’est-ce pas déjà une débauche, en lisant, que de s’y plaire ? »


Arrivons aux parties sérieuses. Il ne manque pas de fortes et doctes tentatives de nos jours : la Sorbonne, par exemple, a fourni depuis quelque temps ses thèses mémorables. Prenez garde : les thèses sont un peu les poésies lyriques des esprits solides ; qu’ils en viennent, s’il se peut, bientôt, à réaliser leurs graves promesses, à fonder leur œuvre définitive mieux que les autres, et à tenir leurs épopées.

II — HISTOIRE ET PHILOSOPHIE.

Essai sur la philosophie de Dante, par M. Ozanam[1]. M. Ozanam rappelle à un endroit de sa thèse ou plutôt son livre cette phrase de M. de Lamartine : « Dante semble le poète de notre époque, car chaque époque adopte et rajeunit tour à tour quelqu’un de ces génies immortels qui sont toujours aussi des hommes de circonstance ; elle s’y réfléchit elle-même ; elle y retrouve sa propre image et trahit ainsi sa nature par ses prédilections. » Si les retours dont parle Vico étaient admissibles, il faudrait surtout les appliquer aux œuvres intellectuelles dont la fortune posthume est tour à tour si diverse. Depuis trois cents ans le moyen-âge n’avait guère occupé que les érudits. Le XVIe siècle, qui était en rupture ouverte avec les âges précédens, ne faisait que le dédaigner ; le XVIIe nous donnait une littérature et s’inspirait de l’antiquité en ne se souvenant guère des aïeux directs ; enfin le XVIIIe, dont l’œuvre devait se tra-

  1. In-8o, Bailly, place Sorbonne, 1839.