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CRITIQUE HISTORIQUE.

tournées, et le mime hardi jusqu’à la témérité, le mime où l’acteur osait s’écrier à la face de César : « Or sus, Romains ! nous avons perdu la liberté. »

Porro, Quirites ! libertatem perdimus[1].

On ne conçoit pas davantage pourquoi, après avoir octroyé le drame aux affranchis, M. de Cassagnac hésite à leur concéder la poésie épique et lyrique. Cette fois, il est vrai, il ne rend aucun compte de l’exclusion ; mais l’appuie-t-il au moins sur des faits constatés ? Non, il faut bien le dire. Et d’abord, comment l’auteur n’a-t-il pas remarqué que ce furent précisément les mêmes Grecs qui naturalisèrent à Rome le drame et la poésie épique ? Il semble ensuite ignorer que les poèmes épiques des Romains ne furent pendant long-temps, comme leurs drames, que de pures traductions du grec, et que, pour rencontrer un poème épique digne de ce nom, il faut arriver à Virgile qui en offre le premier modèle et en demeure l’unique représentant. S’il en est ainsi, en effet, pourra-t-on jamais reconnaître une classification de poètes épiques qui n’admet point Virgile, le fils d’un affranchi, ou qui ne le souffre que par privilége ? Ce que nous disons de l’épopée s’applique peut-être plus justement encore à la poésie lyrique. Rome ne fut pas fertile en poètes de ce dernier genre. Si nous en croyons même Quintilien, elle n’en a produit qu’un seul digne d’être lu, Horace. « Voulez-vous, ajoute le rhéteur, lui en joindre à la rigueur un second, ce sera Cæsius Bassus, qui a vécu de notre temps. » Or, comme Virgile, Horace était le fils d’un affranchi. L’auteur eût été donc plus près de la vraisemblance, en faisant, dans ces deux cas, de l’exception la règle. Mais, on le voit, tantôt ce sont les affranchis qui échappent à leurs catégories, pour envahir celles des gentilshommes, tantôt les gentilshommes, pour envahir celles des affranchis ; et dans ces divers mouvemens, nulle règle, nul équilibre ; c’est une confusion inextricable, un pêle-mêle intime qui ne permet ni de diviser, ni de circonscrire, et qui oblige l’auteur le plus paradoxal à laisser toutes ces intelligences d’élite réunies en une immense famille.

Nous pourrions terminer ici cette discussion ; nous en avons dit assez pour montrer que l’opinion de M. Granier de Cassagnac ne trouve pas même dans l’histoire de quoi paraître vraisemblable. Mais il reste encore une des assertions de l’auteur qui donne trop bien la mesure de son érudition, pour que nous ne demandions pas la permission de nous y arrêter un moment. « Il y a eu, dit-il, des esclaves dans toutes les écoles philosophiques notables de l’antiquité. Phédon, exposé en vente, fut acheté par Cébès, disciple de Socrate… Ménippe, esclave comme Phédon, s’adonna particulièrement à une nature de composition philosophique sous forme de satire qu’il appela cynique, et que Varron imita dans la suite. »

Signalons d’abord l’apparition de ces deux Grecs : l’auteur n’en a men-

  1. Ap. Macrob., Saturn., II, 7.