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monial de l’empire romain ? Citons un nom, celui de chevalier. On ne saurait croire combien sur ce mot l’érudition de M. Granier de Cassagnac s’est montrée inexpérimentée. « Chevalier, dit-il, est la traduction en idiome celtique du latin eques ; déjà du temps de Néron, le mot barbare caballus, pour signifier cheval, était entré dans la langue latine. On le trouve dans Perse. »

Caballus, un mot barbare qui entre dans la langue latine du temps de Néron ! Il paraît que M. Granier de Cassagnac n’a jamais parcouru les fragmens de Lucilius ; car il y aurait lu ce vers :

Succussatoris, tetri tardique caballi.

Il paraît également que M. Granier de Cassagnac a perdu de vue son Horace ; car nous lisons dans une satire d’Horace :

Me Satureiano vectari rura caballo.
Et dans une épître du même poète :
....Aut olitoris aget mercede caballum.

Caballus n’est donc pas un mot barbare ; caballus était donc entré dans la langue latine bien des années avant le règne de Néron. Disons enfin à M. Granier de Cassagnac que caballus a des titres à l’ancienneté tout aussi respectables que equus. Seulement equus désignait le genre et caballus une espèce. Caballus était un cheval vigoureux, mais lourd, dépourvu de grace, et n’ayant pas l’allure très douce, comme nous l’apprend Lucilius. On l’employait à tourner la meule, à porter des fardeaux, et souvent il servait aux marchands de légumes, comme nous l’apprend Horace. C’était, en un mot, un cheval de peine, comme le définit Hésychius[1].

Mais, après avoir réhabilité caballus, voyons le parti que peut en tirer M. de Cassagnac. Chevalier vient de caballus, comme eques vient de equus ; que doit-on inférer de là ? Que les chevaliers romains étaient semblables aux chevaliers du moyen-âge ? Non ; mais que, dans le principe, ce qui fit la distinction des uns et des autres, ce fut la possession d’un cheval et le service militaire dans la cavalerie. Or, ce signe unique peut-il constituer une ressemblance ? Non ; ce qui le prouve, c’est que caballus a fait cavalier aussi bien que chevalier, de même que equus fit eques avec les deux significations. Il y a mieux ; ces chevaliers romains, militaires d’abord, servant dans la cavalerie, devinrent plus tard des juges de tribunaux civils, et continuèrent de s’appeler chevaliers ; plus tard encore, ils se transformèrent en fermiers-généraux, et ne cessèrent point de s’appeler chevaliers ; faudrait-il conclure de là que, parce que le nom ne changea pas, les fonctions étaient restées les mêmes ? Or, si une pareille conséquence serait une absurdité, trouvera-t-on plus raisonnable la prétention de M. Granier de Cassagnac qui, de l’identité de nom, veut inférer, à la distance de quelques milliers de siècles, la simili-

  1. Καβάλλης· ἐργάτης ἵππος (v. Καβάλλ.).