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CRITIQUE HISTORIQUE.

II. — AFFRANCHISSEMENT. — COMMUNE.

Un fait, avons-nous dit, postérieur à l’esclavage, et qui en est toujours la suite inévitable, c’est l’affranchissement. Mais à quelle époque l’affranchissement commença-t-il ? M. Granier semble d’abord n’oser rien affirmer à cet égard : « Nous n’avons, dit-il, nul moyen d’estimer combien de temps se prolongea dans l’histoire l’esclavage pur. Il y a déjà des affranchis dans la Bible et dans l’Odyssée. » Cependant, reprenant bientôt sa confiance habituelle, il essaie de préciser aussi l’origine de l’affranchissement, et voici de quelle manière : « Durant la période primitive de l’esclavage pur, il n’y avait pas encore de mendians, car on n’est mendiant qu’autant qu’on n’a pas de quoi vivre ; or, un esclave est nourri par son maître… Toutes les fois donc qu’on trouve un mendiant mentionné dans les livres primitifs, on peut être certain que ces livres appartiennent à une époque où un grand nombre d’esclaves ont déjà été émancipés, c’est-à-dire à une époque secondaire. Il en est de même des livres où se trouvent mentionnés des mercenaires ; car le mercenaire antique n’est autre chose que l’esclave devenu entièrement libre auquel on achète son travail de gré à gré. Or, il y a des mercenaires cités dans le Lévitique ; il y en a dans l’Odyssée… Le seul moyen qu’il y ait de constater avec assez de précision l’époque reculée où commencèrent à s’opérer les premiers affranchissemens, c’est donc de rechercher à quel moment font leur apparition dans l’histoire les pauvres et les mercenaires[1]. »

C’est une singulière logique, en vérité, que celle de M. Granier de Cassagnac. On n’a pas oublié le raisonnement qu’il a fait, quand il s’est agi de prouver que l’esclavage remontait à l’origine même de la société : le trouvant décrépit au point de départ de l’histoire, il en a hardiment conclu qu’il devait être aussi vieux que le monde. M. Granier répète encore ici le même raisonnement ; mais il ne s’aperçoit pas que cette fois l’arme dont il se sert peut être retournée contre lui. Si l’affranchissement, en effet, ne se montre pas moins décrépit que l’esclavage dans les plus anciens monumens de l’histoire, qui nous empêche de conclure que comme l’esclavage il a pour berceau la première famille ? Sans doute M. Granier nous répondra que la nature même de ces deux faits ne permet pas de supposer qu’ils aient commencé simultanément ; mais son raisonnement conduit-il à la conclusion que nous en avons tirée ? Oui ; c’est donc un raisonnement qui aboutit à l’impossible. Et voilà pourtant sur quel pauvre sophisme s’est fondé M. de Cassagnac, non-seulement pour faire sortir l’esclavage de la famille, mais encore pour dériver de l’esclavage toutes les classes que renferme le prolétariat.

La seconde question qui se présente au sujet de l’affranchissement, c’est de savoir comment il s’opéra. « Il faut, dit M. Granier, noter deux faits importans en ce qui touche cette émancipation. Le premier, c’est qu’il n’y a pas

  1. Chap. V, pag. 107-109.