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CRITIQUE HISTORIQUE.

que l’affection, la tendresse et le dévouement des pareils pour leurs enfans soient les besoins les plus impérieux et les plus doux à satisfaire, avant même d’être des sentimens raisonnés et des devoirs sacrés, il n’est pas croyable que l’homme ait oublié d’être père pour devenir tyran de ses enfans. Il y a là impossibilité morale. Il y a aussi impossibilité physique. La force est en général un moyen transitoire, incertain et dont l’action se déplace continuellement. Ici surtout, elle eût bientôt passé de l’oppresseur aux opprimés, et les enfans, au bout d’un petit nombre d’années, auraient été les véritables chefs de la famille par la force. Que devenait alors l’autorité despotique du père ? Elle se maintenait, répondra-t-on, par le respect. Dans ce cas, on dénature le sens du mot esclavage. Il y a plus, le respect, l’affection, l’obéissance, toutes les vertus que comprend la piété filiale dérivent du sentiment du droit ; or, nous l’avons démontré, le droit réprouve l’esclavage. L’esclavage n’a donc pas pu s’établir dans la première famille. S’est-il établi dans la seconde ou dans celles qui ont suivi ? Non, car il a dû y rencontrer les mêmes obstacles. Comment expliquer cependant, ajoute-t-on, la puissance dont nous trouvons les pères armés dans l’antiquité, puissance qui s’étend jusqu’à décider de la vie et de la mort des enfans ? Rien de plus contraire à la thèse qu’on soutient qu’un pareil argument. Sans doute nous voyons fréquemment, chez les anciens, des pères sacrifier leurs enfans ; mais ces barbares immolations étaient toujours dictées par les prêtres, au nom de la divinité, ou par la divinité elle-même. Abraham va sacrifier son fils, mais c’est pour obéir à Dieu ; Agamemnon consent à la mort de sa fille, mais il y est contraint par la voix d’un oracle que Calchas interprète. Certes, s’il y avait là un esclave, ce n’était pas Isaac, c’était bien Abraham ; ce n’était pas Iphigénie, c’était bien Agamemnon. Aussi l’Écriture ne nous laisse-t-elle pas ignorer que Dieu avait demandé ce sacrifice au patriarche comme le plus grand effort de son obéissance, et Calvin, cherchant à pénétrer le dessein de l’Éternel, ne lui suppose pas d’autre motif que celui-ci : « Ut fidei experimentum in servo suo caperet. » Quant à la douleur d’Agamemnon, les vers d’Euripide nous ont dit qu’elle était inexprimable, et le tableau de Timanthe, qu’on ne pouvait la peindre. Qu’importe ? réplique-t-on ; le sacrifice même, quoique fait à regret, constate le droit que nous leur reconnaissons, et cela nous suffit. Nierez-vous d’ailleurs que les monumens de l’antique législation n’attestent à chaque pas le pouvoir formidable que la loi confiait aux pères de famille ? Nous l’avons accordé en commençant : cette autorité est incontestablement prouvée ; mais de là il n’est point du tout permis de conclure l’esclavage des enfans. Plus l’autorité même est absolue, moins la conséquence qu’on en veut déduire est vraisemblable. Je m’explique. « La famille, a dit Platon, n’est qu’un petit état dans l’état. » Pénétrés aussi de cette idée, les législateurs s’attachèrent à constituer fortement chacun de ces petits états, afin qu’il devînt un gage de sécurité pour l’état qui les embrassait tous ; or, le moyen qui leur parut le plus efficace pour y réussir, ce fut d’en confier la souveraineté au père. Prétendaient-ils par-là briser les liens les plus doux de