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invoquent ne sont pas contredits, remplacent hardiment la réalité par la fiction, ou donnent avec confiance un fait isolé pour l’expression complète et absolue de la vérité.

La faute en est, il faut bien le dire, pour la majeure part, à la critique. Au lieu de prendre en main les droits de la justice, de la vérité, du bon sens, de la raison, et de poursuivre impitoyablement tous ceux qui cherchent à y porter atteinte, elle est devenue frivole, indifférente, complimenteuse et presque toujours passionnée, quand elle a voulu être sérieuse. Cependant le désordre s’est propagé avec une effrayante rapidité, le talent a méconnu les règles, la médiocrité son impuissance, et le lecteur, privé de guide, a dispensé sans choix ses sympathies et ses répugnances, son admiration et son dédain. Qu’on ne s’imagine pas, en effet, qu’une critique sévère et éclairée n’eût exercé aucune action. Aux époques mêmes où sa voix est le moins écoutée, elle est toujours entendue d’un grand nombre, et finit infailliblement par dominer. Toutefois, nous ne pensons pas que la critique doive s’armer d’une égale rigueur contre tous : il faut même, selon nous, que dans beaucoup de cas, si elle veut être juste sans dureté, une double considération dirige ses jugemens, et qu’en appréciant les résultats de l’ouvrage, elle ne perde pas de vue les intentions de l’auteur. Ainsi, pour nous en tenir aux écrivains que nous avons déjà signalés, il en est parmi eux qui sont inoffensifs et qui ont pu être de bonne foi ; à ceux-là, sans doute, la critique doit ses conseils et de l’indulgence. Dans cette catégorie, je range les écrivains qui, par une méprise de vocation, ont transporté la poésie dans le domaine de l’histoire. Ici, en effet, le lecteur qui rencontre à chaque pas des assertions sans preuves, mais quelquefois vraisemblables, des faits sans relation, mais ingénieusement groupés, des conséquences forcées, mais tirées avec esprit, est suffisamment averti que l’imagination a eu la plus grande part à l’œuvre, et dès-lors il ne doit lui demander à peu près que ce qu’il demande à la fiction. Il est d’autres écrivains, au contraire, dont l’influence est nuisible et qui exploitent sciemment l’erreur à leur profit. À ceux-là, point de conseils, ils seraient inutiles : la vérité sans ménagemens, non pour les convertir, mais pour ruiner leur crédit. Dans cette catégorie je range les écrivains qui, après s’être annoncés avec l’appareil imposant des méditations profondes et des études sérieuses, trahissent la confiance qu’ils avaient inspirée. Ici, en effet, le lecteur a pu être d’autant plus aisément trompé que l’affirmation lui paraissait plus grave et plus sincère, et l’auteur n’a pour excuse, ni l’entraînement de la chaleur poétique, ni les fantaisies de l’imagination ; il y a eu de sa part calcul, préméditation. De pareils charlatans ne sont pas rares par le temps qui court, et grace d’une part à la facilité du succès et de l’autre à l’assurance de l’impunité, le nombre s’en augmente chaque jour. Ce n’est pas tout : cette coupable faiblesse de la critique n’a pas seulement pour effet d’enhardir l’ignorance présomptueuse ; elle décourage encore le mérite modeste et consciencieux, elle le distrait des longs travaux, des vastes pensées, et, en prodiguant, sinon la gloire, du moins la réputation, elle peut lui faire