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LA TERREUR EN BRETAGNE.

— Y pensez-vous ? si l’on vous reconnaît…

— Je le veux, je le veux, s’écria-t-elle ; venez.

Nous trouvâmes, au bas de l’escalier du Bouffai, des gens armés qui nous empêchèrent de passer.

— Qu’y a-t-il ? demandai-je.

— Des prisonniers qu’on mène baigner, répondit un sergent.

Mme Benoist jeta un cri.

— Ne craignez rien, lui dis-je d’une voix mal assurée, il est averti et se sera caché.

Mais elle ne m’écoutait point.

— Ils ne peuvent le faire périr, puisque j’ai sa grace, criait-elle, laissez-moi passer.

— Arrière ! dit le sergent.

— Je veux leur parler.

— Au diable !

— Je vous en conjure.

— On ne passe pas.

— Je veux passer, moi, s’écria-t-elle, et elle essaya de percer les rangs des soldats. Je la retins.

— Attendez, lui dis-je ; avant de leur parler, il faut au moins nous assurer qu’il fait partie des victimes : tout débat maintenant serait dangereux et peut-être inutile.

En ce moment les prisonniers commençaient à descendre le grand escalier entre deux haies de soldats ; ils étaient presque nus, et chaque femme était liée à un homme. Il y avait des jeunes filles chez qui l’instinct de la pudeur survivait encore, et qui baissaient la tête ; des vieillards qui trébuchaient à chaque pas ; des enfans dépassant à peine les genoux des bourreaux, et qui pleuraient ! Tous descendaient lentement le grand escalier avec des gémissemens sourds ou des prières interrompues. Une odeur de cadavre, la même que j’avais respirée dans la prison, les devançait ! Des torches agitées au milieu des piques et des baïonnettes éclairaient de loin en loin ce spectacle inoui !

Les premiers commencèrent à défiler devant nous. Je tenais la main de Mme Benoist, qui regardait béante et éperdue ; tout à coup elle fit un mouvement, je me penchai…

— Ce n’est pas lui, me dit-elle.

Les prisonniers passaient toujours. Il y avait des femmes qui levaient leurs nourrissons dans leurs bras, criant :

— Une mère, une mère pour mon pauvre enfant !…