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tricote. Il la garde en mue sans s’en apercevoir. À propos, où est-il donc Carrier ? avec la citoyenne Caron, je parie !… Qu’est-ce que je disais ? les voilà tous deux…

Le représentant venait, en effet, d’entrer en tenant par la taille Angélique, qui, vêtue d’une simple tunique et à demi renversée dans ses bras, semblait appeler ses baisers.

J’éprouvai, à cette vue, un sentiment de surprise et de dégoût invincibles. Cela était-il possible !… Cette femme que j’avais trouvée tout à l’heure si belle, si distinguée, et qui m’avait fait douter un instant des accusations portées contre elle, était moins qu’une courtisane, c’était la femelle de ce tigre laid et poltron, qui n’avait jamais déchiré que des hommes désarmés ! Sa beauté elle-même me parut flétrie. Voyant qu’elle venait de mon côté, je me rangeai pour ne point me trouver sur son passage ; mais elle m’aperçut, rougit légèrement ; et, quittant le bras de son amant, qui parlait à Lamberty, elle passa près de moi sans me regarder, s’arrêta, en ayant l’air d’attendre Carrier, et me glissa dans la main un papier. Je fis un mouvement.

— Prenez, murmura-t-elle… mais qu’il quitte Nantes sur-le-champ… C’est une signature surprise…

Et, sans attendre de réponse, elle disparut dans la foule.

V.

Lorsque j’arrivai à mon auberge, on me dit que quelqu’un m’attendait dans ma chambre ; j’y montai ; c’était Mme Benoist.

— Quelle imprudence ! m’écriai-je.

— Mon mari est perdu, dit-elle.

— Il est sauvé !

— Comment cela ?

— J’ai sa grace signée de Carrier.

— Est-ce possible ?

— La voilà.

— Mais son nom est sur la liste des prisonniers qui doivent périr ce soir.

— Qui vous l’a dit ?

— Philippe Tronjolly.

— Courons à la prison.

— Je vous suis.