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LA TERREUR EN BRETAGNE.

blique se sont montrés lâches et cruels ; vous ne pouvez pas les haïr comme nous.

— Je hais ceux qui ont été cruels et lâches ; mais tant d’innocens sont aujourd’hui confondus avec les coupables !

— Les devoirs de ceux qui tiennent le pouvoir sont terribles.

— Leur rigueur ne peut-elle jamais fléchir ?

— Elle est nécessaire.

— Il est pourtant ici une voix qui obtient toujours merci, à ce qu’on assure, et qui aime sans doute à l’obtenir.

Angélique me regarda et me dit :

— Qui voulez-vous sauver ?

— Un patriote sincère.

— Nos amis le sont tous, dit-elle en souriant.

— Le mari d’une de vos compagnes, ajoutai-je, de celle que vous nommiez tout à l’heure.

— De Rose Boivin ?

— D’elle-même.

— Vous l’appelez ?…

— Le citoyen Benoist.

— Demain, j’en parlerai à Carrier, dit-elle vivement.

— Demain, peut-être, il sera trop tard.

Elle réfléchit.

— Que puis-je faire ? reprit-elle après un silence ; maintenant ils sont tous là ; ma demande serait sûrement repoussée !… Même, en choisissant l’instant, elle le sera peut-être…

J’allais insister, lorsqu’on vint l’appeler de la part de Carrier.

— J’y penserai, dit-elle en me quittant…

Je craignais que mon absence n’eût été remarquée, et je rejoignis les invités. Le nombre s’en était singulièrement accru. Il y avait plusieurs généraux en épaulettes de laine, selon l’usage du temps, des membres du département en sabots, des juges du tribunal révolutionnaire sans gilet et sans cravate. La plupart fumaient, jouaient ou buvaient. Quelques-uns poursuivaient des femmes à demi nues, qui leur échappaient en riant ; on n’entendait que juremens, cliquetis de verres, chants obscènes et bruits de baisers ; on eût dit un musico d’Amsterdam. Au milieu de ce tumulte, une femme laide et revêche tricotait seule dans un coin. Je demandai son nom.

— C’est l’épouse du représentant, me répondit Pinard ; un véritable hérisson. Si j’étais Carrier, il y a long-temps que je m’en serais débarrassé ; mais elle lui fait, à ce qu’il dit, l’effet d’un dindon qui