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SPIRIDION.

m’abandonner aux passions, aux vices même, pour tâcher d’échapper à moi-même par l’ivresse ou l’abrutissement. Ces désirs s’effacèrent promptement ; j’avais étouffé mes passions de trop bonne heure, pour qu’il me fût possible de les faire revivre. L’athéisme même n’avait fait qu’affermir, par l’étude et la réflexion, mes habitudes d’austérité. D’ailleurs, à travers toutes mes transformations, j’avais conservé un sentiment du beau, un désir de l’idéal que ne répudient point à leur gré les intelligences tant soit peu élevées. Je ne me berçais plus du rêve de la perfection divine ; mais, à voir seulement l’univers matériel, à ne contempler que la splendeur des étoiles et la régularité des lois qui régissent la matière, j’avais pris tant d’amour pour l’ordre, la durée et la beauté extérieure des choses, que je n’eusse jamais pu vaincre mon horreur pour tout ce qui eût troublé ces idées de grandeur et d’harmonie.

J’essayai de me créer de nouvelles sympathies ; je n’en pus trouver dans le cloître. Je rencontrais partout la malice et la fausseté ; et, quand j’avais affaire aux simples d’esprit, j’apercevais la lâcheté sous la douceur. Je tâchai de nouer quelques relations avec le monde. Du temps de l’abbé Spiridion, tout ce qu’il y avait d’hommes distingués dans le pays et de voyageurs instruits sur les chemins venaient visiter le couvent, malgré sa position sauvage et la difficulté des routes qui y conduisent. Mais, depuis qu’il était devenu un repaire de paresse, d’ignorance et d’ivrognerie, le hasard seul nous amenait, comme aujourd’hui, à de rares intervalles, quelques passans indifférens ou quelques curieux désœuvrés. Je ne trouvai personne à qui ouvrir mon cœur, et je restai seul livré à un sombre abattement.

Pendant des semaines et des mois, je vécus ainsi sans plaisir et presque sans peine, tant mon ame était brisée et accablée sous le poids de l’ennui. L’étude avait perdu tout attrait pour moi ; elle me devint peu à peu odieuse : elle ne servait qu’à me remettre sous les yeux ce sinistre problème de la destinée de l’homme. Abandonné sur la terre à tous les élémens de souffrance et de destruction, sans avenir, sans promesse et sans récompense, je me demandais alors à quoi bon vivre, mais aussi à quoi bon mourir ; néant pour néant, je laissais le temps couler et mon front se dégarnir, sans opposer de résistance à ce dépérissement de l’ame et du corps, qui me conduisait lentement à un repos plus triste encore.

L’automne arriva, et la mélancolie du ciel adoucit un peu l’amertume de mes idées. J’aimais à marcher sur les feuilles sèches et à voir passer ces grandes troupes d’oiseaux voyageurs qui volent dans