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LA TERREUR EN BRETAGNE.

Je lui racontai alors la rencontre de Pinard et les offres de service qu’il m’avait faites : il secoua la tête.

— N’y compte point, me répondit-il ; ces hommes aiment le mal pour lui-même et ne l’empêchent jamais ; la victime qu’on leur recommande est d’habitude la première qu’ils immolent.

Dufour approuva par un geste.

— Solliciter la délivrance de son ami, c’est le rappeler aux bourreaux, me dit-il.

— Mais, si je ne la sollicite pas, son nom se trouvera peut-être sur la prochaine liste ; aujourd’hui ou demain il peut être appelé…

— Qu’il ne réponde pas.

Je regardai Dufour avec étonnement.

— Savent-ils seulement ce qu’ils tuent ? continua-t-il en haussant les épaules ; nos prisons sont des parcs de bétail où l’on prend au hasard. Si un prisonnier ne se trouve point au moment de l’appel, les noyeurs passent plus loin (car l’heure de la marée les presse), et le lendemain ils l’ont oublié. Un tel moyen de salut te paraît extraordinaire, impossible peut-être ; mais, de nos jours, il n’y a que l’extraordinaire de vraisemblable et que le vraisemblable d’impossible. Ce qu’il faut maintenant pour sauver un homme, ce n’est ni le bon droit, ni le dévouement, ni le courage, mais le hasard d’un nom mal écrit ou d’une liste emportée par le vent : notre vie et notre mort, à tous, ne relève point de causes plus hautes.

Benoist confirma la vérité de ces observations en nous citant un compagnon d’infortune qui avait échappé ainsi ; je l’engageai alors à tout essayer pour se soustraire aux recherches, si son nom était appelé, tandis que, de mon côté, j’emploierais tous les moyens d’obtenir son élargissement.

Lagueze vint alors nous avertir qu’il était temps de nous retirer. J’embrassai Benoist, et nous sortîmes.

IV.

Je venais de quitter le citoyen Dufour, lorsque je rencontrai Pinard et Goullin qui m’accostèrent ; ils allaient dîner chez le représentant et me proposèrent de m’y mener. Je refusai d’abord, mais ils me pressèrent ; je réfléchis que le hasard pourrait me fournir, dans cette visite, l’occasion d’être utile à Benoist, et j’hésitai.