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curiosité mêlé d’horreur me retenait. J’étais là comme dans un antre de bêtes fauves qui rugissaient autour de moi. Il me semblait, par instans, que j’étais le jouet d’un rêve insensé. Le retour de l’enfant que j’avais envoyé à l’hôtellerie m’arracha à cette torpeur. Elle avait remis mon billet à Mme Benoist elle-même. Cette nouvelle me rassura, et, profitant du tumulte produit par l’arrivée de nouveaux compagnons, et de l’ivresse toujours croissante de Pinard, je m’échappai sans être aperçu.

Je n’essaierai point de dire ce que j’éprouvai en me retrouvant seul. Tout ce que je venais d’entendre bourdonnait encore à mes oreilles ; je ne me sentais ni marcher, ni vivre ; j’étais comme un homme qui vient de fuir une caverne d’assassins, et qui n’a plus conscience du monde, ni de lui-même. La nuit entière se passa dans la fièvre ; enfin, vers le matin, mon imagination s’apaisa, et je m’endormis.

Je fus réveillé par l’hôtesse, qui m’apportait une lettre. Mme Benoist me remerciait de mon avertissement, en m’annonçant qu’elle était en sûreté. Elle me conjurait de tout faire pour sauver son mari, m’indiquant les personnes qu’elle avait déjà vues et sur l’appui desquelles elle comptait. Cette lettre me ranima en me donnant un devoir à remplir. Je résolus de mériter la confiance qui m’était accordée, quelque danger qu’il fallût courir. Cependant, comme j’ignorais quels moyens pouvaient réussir, je me rendis chez Dufour, que je trouvai cette fois. J’avais en lui toute confiance ; je lui racontai ce qui s’était passé et lui demandai conseil.

— Comment donner un conseil, me répondit-il, à une époque où toutes les prévisions de la prudence et de la raison vous trompent, où vous êtes sauvé par ce qui devrait vous perdre, perdu par ce qui devrait vous sauver !… Le citoyen Benoist lui-même n’a-t-il aucun moyen de détourner le coup qui le menace ? Il faudrait le voir, l’interroger.

— Mais comment ?

— Je connais le geôlier Lagueze ; il nous laisserait peut-être communiquer avec le prisonnier.

— Allons tout de suite alors.

— Allons.

Nous nous dirigeâmes ensemble vers le Bouffai. En arrivant, j’aperçus la place couverte d’une foule de gens assis qui mangeaient, travaillaient ou causaient tranquillement. Il y avait, comme dans nos églises, des bancs sur lesquels étaient écrits des noms, d’autres