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LA TERREUR EN BRETAGNE.

— Ce sont les autres qui viennent de la ferme, dit Salaün. Ils ont pris le sentier vert ; nous sommes sûrs d’être vus.

— Ils passent donc près de nous ?

— De l’autre côté du buisson.

En effet, nous pûmes bientôt distinguer les paroles. Nos guides s’étaient arrêtés, mais le plus léger mouvement pouvait nous trahir : mon cœur battait avec violence. Les pas et les voix approchaient toujours ; enfin nous aperçûmes distinctement Storel et ses compagnons à travers les buissons dépouillés, nous sentîmes l’agitation des branches froissées par leurs mouvemens !… Ils passèrent sans nous apercevoir…

Nous reprîmes notre route d’un pas rapide, traversant le fourré dans sa largeur, et nous arrivâmes au manoir.

M. de la Hunoterie venait par bonheur d’y arriver. Au premier mot d’explication, il nous rassura ; ma jeune compagne de voyage entra presque au même instant, et acheva de tout raconter au chevalier, qui, après m’avoir fait des excuses sur ce qu’il appelait un malentendu, et m’avoir remercié assez légèrement du service rendu à sa nièce, m’engagea à accepter son hospitalité jusqu’au matin. Le reste de la nuit se passa sans nouvelle aventure, et je repartis le lendemain avec Ivon pour la Roche-Sauveur, où nous arrivâmes enfin sains et saufs.

II.

Il était écrit que mon voyage de Brest, déjà contrarié par tant d’obstacles, n’aurait point lieu. Retenu à la Roche-Sauveur par la maladie, je reçus des lettres qui changèrent mes projets et me forcèrent de partir pour Nantes.

Nous étions alors au 20 nivôse 1793, c’est-à-dire au plus fort de la terreur organisée dans cette ville par Carrier. J’avais entendu parler assez légèrement, à Rennes, des mesures énergiques prises par ce représentant ; on était loin d’en connaître toute la gravité, et l’on s’en inquiétait peu. Le premier effet du danger est de rapprocher les hommes et de les associer ; mais, s’il est poussé trop loin, il les sépare immanquablement, en excitant outre mesure chez chacun le sentiment de la conservation et de la défense personnelle. Or, la crise était alors si terrible partout, que l’on s’occupait uniquement des malheurs qu’on avait à ses portes. Chaque ville, assiégée par la faim, la guerre et la proscription, ressemblait à un malade luttant contre