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LA TERREUR EN BRETAGNE.

enfin de l’autre côté de la hutte, assis à terre, immobile et la tête entre ses genoux. Dans ce moment, le jeune séminariste commençait la lecture de la dépêche dont on avait trouvé notre compagnon porteur : je prêtai l’oreille.

C’était une longue lettre par laquelle les représentans ordonnaient aux administrateurs de la Roche-Sauveur[1] de recommencer les fouilles dans la campagne, de placer des garnisaires dans toutes les paroisses qui refuseraient de livrer leurs grains ou leurs bestiaux à la république, et de livrer à la juste fureur des défenseurs de la patrie celles qui avaient pris les armes. « Faites marcher sur les cantons rebelles les troupes dont vous disposez, disait, en terminant, la dépêche ; brûlez tout ce qui se brûle, frappez tout ce qui peut être frappé, détruisez le reste, et que l’on puisse écrire sur un poteau, à l’entrée des villages révoltés : Ici il y avait un pays riche et populeux qui méconnut les volontés souveraines de la nation, et la nation en a fait un désert ! »

La lecture de cette lettre avait été plusieurs fois interrompue par les imprécations des royalistes ; mais, lorsqu’elle fut achevée, il n’y eut qu’un cri d’indignation et de rage.

— Qu’ils viennent les patauds, s’écrièrent toutes les voix ensemble, nous avons de la poudre et des balles dans les paroisses ; qu’ils viennent, nous les recevrons !

— Soyez donc calmes, mes agneaux, dit le Vendéen en ricanant, ils viendront assez tôt. Maintenant qu’il ne reste plus dans notre pays que des maisons brûlées, des champs en friche et des puits qui puent la mort, il faut bien que les bleus arrivent ici : chacun son tour. Vous verrez bientôt les grenadiers de Mayence porter les oreilles de vos femmes en chapelets et les têtes de vos enfans au bout de leurs baïonnettes. Tous ceux que vous ne tuerez pas tueront quelqu’un des vôtres, d’abord parce que, quand un bleu et un blanc se rencontrent, voyez-vous, c’est comme le loup et le chien, il faut qu’il y en ait un d’étranglé !

— Eh bien ! nous les étranglerons, s’écrièrent les Bretons.

— À la bonne heure ; vous pouvez même commencer dès aujourd’hui.

Tous les yeux se tournèrent du côté d’Ivon.

— Au fait, dit un paysan, c’est lui qui portait l’ordre de nous faire égorger tous.

  1. Depuis le meurtre du citoyen Sauveur à la Roche-Bernard, les républicains appelaient cette ville la Roche-Sauveur. — voyez la livraison du 1er  juillet 1838, page 12.