Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/442

Cette page a été validée par deux contributeurs.
438
REVUE DES DEUX MONDES.

geurs comme les chasseurs le gibier, et depuis qu’on passe ici, ils doivent y venir.

En parlant ainsi, nous arrivions à un carrefour.

— Vois plutôt, ajouta Ivon en nous montrant, sous un chêne, une croix dont on avait relevé les débris et que l’on s’était efforcé de rétablir ; voilà de leur ouvrage.

Dans ce moment ses regards tombèrent sur le chêne lui-même, et il s’interrompit avec une exclamation.

— Qu’y a-t-il ? demandai-je.

— Ne vois-tu pas les branches les plus basses de l’arbre qui sont cassées toutes du même côté ?

— Eh bien ?

— Eh bien ! c’est un signal pour les royalistes.

— En es-tu sûr ?

— C’est connu de tout le monde.

— Et que veut dire ce signal ?

— Qu’ils viendront ou qu’ils sont venus.

— Que faire alors ?

Ivon réfléchit quelques instans.

— En retournant, dit-il enfin, nous pouvons les rencontrer comme en continuant, car nous ne savons pas s’ils sont derrière ou devant.

— Continuons alors.

— Soit, mais attention : nous allons traverser un taillis où il pourrait bien y avoir plus d’aristocrates que de renards ; ouvre l’œil, citoyen, et regarde les oreilles de ton cheval.

Nous arrivions effectivement à un fourré fort touffu, au milieu duquel le chemin serpentait. Ivon s’était presque couché sur sa monture et avait passé devant nous pour prendre le milieu de la route. Je suivais au pas, tenant attentivement mon cheval en bride.

Ma compagne effrayée s’était rapprochée de moi, et le bras dont elle m’entourait tremblait sur ma poitrine. Je ne sais si l’inquiétude même m’avait préparé à l’exaltation ; mais le silence de la nuit, le danger que nous courions, l’humidité de cette haleine de femme que je sentais frissonner dans mes cheveux, me pénétrèrent d’une étrange émotion. Il est un âge où tous les troubles du cœur se transforment vite en tendres mouvemens. J’oubliai presque complètement la situation dans laquelle nous nous trouvions pour ne sentir que cette main charmante qui s’appuyait sur mon cœur et en accélérait les battemens. Je la pressai sous la mienne, et me détournant à moitié vers la jeune fille :