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REVUE. — CHRONIQUE.

au profit de la minorité ? et de quelle minorité encore ! Que demande-t-on au roi en exigeant qu’il s’adresse à la coalition ? Qu’est-ce que la coalition ? Ne l’a-t-on pas dit cent fois ? Dix partis différens unis pour détruire. S’adresser à M. Thiers, c’est ne s’adresser qu’à soixante voix dont il dispose ; il ne pourra traiter avec les autres que par transaction, et par des transactions de principes. Les doctrinaires représentent une fraction plus petite encore, et ce sont là les partis qu’on veut grouper autour du trône, pour qu’ils se livrent bataille sur ses degrés, tandis qu’une majorité compacte l’entoure, et le défend par sa fidélité aux principes sur lesquels il est assis. Il nous est sans doute permis de supposer ce qui est. Si les 221, qui ont si dignement rempli jusqu’à ce moment la mission qu’ils ont de représenter la majorité du pays, restent fidèles à eux-mêmes, et repoussent la coalition, même quand elle sera entrée aux affaires, que sera leur adresse, et quel langage auront-ils à tenir ? C’est pour le coup qu’il y aurait lieu à déclarer dans une adresse que le gouvernement constitutionnel est méconnu, et qu’une chambre aurait le droit d’en rappeler les principes au roi. C’est bien alors qu’il y aurait lieu de s’écrier que le cabinet n’a pas une origine parlementaire, et qu’il se serait glissé au pouvoir sans avoir la majorité, et sans espoir de l’obtenir, pourrait-on ajouter ! Il y a des hommes de talent et d’esprit dans la coalition. Est-ce que la passion les aveuglerait au point de vouloir terminer la crise actuelle par une entreprise semblable ? Le proposent-ils sérieusement, et ont-ils bien réfléchi aux conséquences ? En formant un ministère contre le vœu de la majorité, on n’a que la ressource du coup d’état. Charles X, en renversant le ministère de M. de Martignac, avait au moins une majorité dans la chambre pour soutenir ses projets. La coalition n’a pas même ce prétexte à offrir à la couronne en la sommant de se mettre en ses mains, et elle revient simplement aux projets de la gauche, qui, en 1831, voulait détruire la Charte et forcer le roi à changer la constitution, pour assurer la direction des affaires au général Lafayette et à M. Laffitte. La Charte de 1830 trouva dans M. Thiers et dans M. Guizot, mais surtout dans le roi, d’intrépides soutiens : aujourd’hui, faute de quelques défenseurs, elle ne périra pas.

La coalition, qui entend le gouvernement représentatif à sa manière, va nous répondre qu’elle dissoudra la chambre, et qu’elle se fera une majorité. Mais une minorité entrée aux affaires a-t-elle le droit d’en appeler aux électeurs ? — C’est, il nous semble, le droit de la majorité restée aux affaires, quand elle ne se trouve pas suffisante. S’il faut commencer par vous faire ministres pour vous faire agréer par la France, vous nous permettrez de dire que votre crédit n’est pas bien grand, et nous demanderons à la couronne si, avant de vous prêter la force dont vous avez besoin, elle ne ferait pas bien de vous sommer de dire quel usage vous voudriez en faire. Or, c’est ce que vous ne direz pas, car cet aveu vous isolerait de vos alliés, et vous rendrait encore plus faibles que vous n’êtes.

Voilà l’état réel des choses. Le ministère s’est retiré pour ne pas blesser les usages du gouvernement représentatif, qui veulent que le pouvoir ait une