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chaque directoire cantonal ; mais les négociations, quoique multipliées, ne présenteraient pas des difficultés sérieuses. L’Italie et la Suisse n’ont pas un avantage bien marqué à s’approvisionner en Belgique de livres français. Au contraire, on pourrait faire valoir dans ces deux pays des considérations décisives en faveur du projet. Si le génie pouvait partout acquérir et posséder, l’émulation renaîtrait sans doute dans la patrie du Tasse et de Machiavel ; le peuple helvétique aurait peut-être bientôt une littérature nationale[1]. Nous ignorons les dispositions des lois espagnoles et portugaises relativement aux richesses créées par l’esprit. Une ordonnance pour la répression de la contrefaçon a été rendue dernièrement à Madrid ; elle fait présager l’adhésion de l’Espagne au système de garantie mutuelle.

Jusqu’ici nous n’avons énuméré que des chances de succès. Quand on aura démontré à presque toutes les nations civilisées qu’elles ont un intérêt commercial et un intérêt d’honneur à repousser la contrefaçon, on aura réduit les peuples contrefacteurs à leur seule consommation, et concentré le mal dans son propre foyer. Mais nous allons plus loin, et nous osons attendre un résultat complet, définitif.

La Belgique et l’Union américaine se trouvent dans une position exceptionnelle, l’une à l’égard de la France, l’autre de l’Angleterre. Dans chaque pays, les éditeurs ayant le privilége de s’approprier sans frais les productions déjà célèbres de deux grandes littératures, se refusent à publier les essais de leurs compatriotes. Blessés dans leur amour-propre et leur intérêt, les écrivains proclament que le développement d’une littérature nationale est impossible, que l’intelligence publique est étouffée, au profit d’une poignée de spéculateurs. Des deux parts, les plaintes deviennent assez vives pour être prises en considération sérieuse par le pouvoir. Dernièrement, un auteur belge déclarait dans sa préface que, pour arriver jusqu’à ses compatriotes, il avait dû faire les frais d’une impression en France, bien certain d’être contrefait. Il y a trois ans, une association pour l’encouragement des publications nationales a essayé de se constituer à Bruxelles, et, dans le programme qu’elle a répandu, les éditeurs belges étaient encore plus mal traités que par les écrivains de la France. Mêmes dispositions en Amérique, où les plaintes des auteurs ont trouvé un interprète dans le sein du congrès.

Avec l’alliance des écrivains, ou, pour mieux dire, des esprits élevés de toutes les classes en Amérique et chez les Belges, il deviendrait possible de détruire chez ces deux peuples ce parti-pris de l’opinion, cette impression première et irréfléchie qui est trop souvent décisive en affaires. Les gouver-

  1. L’Italie, qui a long-temps régenté la France, est aujourd’hui tributaire du génie français. Sans parler du grand nombre de nos ouvrages qu’elle traduit, ni de la préférence qu’elle paraît accorder aux contrefaçons belges en raison de la modicité du prix, elle nous demande annuellement pour 600,000 francs de livres, tandis que les envois qu’elle fait en France atteignent à peine 100,000 francs. Notre librairie reçoit aussi environ 400,000 francs de la Suisse, dont les exportations sont à peu près nulles.