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qui avaient sapé l’édifice de la tradition et de la révélation. Je me persuadai qu’en cherchant l’existence de Dieu dans les problèmes de la science et dans les raisonnemens de la métaphysique, je saisirais enfin l’idée de Dieu, telle que je voulais la concevoir, calme, invincible, immense.

Alors commença pour moi une nouvelle série de travaux, de fatigues et de souffrances. Je m’étais flatté d’être plus robuste que les spéculateurs auxquels j’allais demander la foi ; je savais bien qu’ils l’avaient perdue en voulant la démontrer ; j’attribuais cette erreur funeste à l’affaiblissement inévitable des facultés employées à de trop fortes études. Je me promettais de ménager mieux mes forces, d’éviter les puérilités où de consciencieuses recherches les avaient parfois égarés, de rejeter avec discernement tout ce qui était entré de force dans leurs systèmes ; en un mot, de marcher à pas de géant dans cette carrière où ils s’étaient traînés avec peine. Là, comme partout, l’orgueil me poussait à ma perte ; elle fut bientôt consommée. Loin d’être plus ferme que mes maîtres, je me laissai tomber plus bas sur le revers des sommets que je voulais atteindre et où je me targuais vainement de rester. Parvenu à ces hauteurs de la science, que l’intelligence escalade, mais au pied desquelles le sentiment s’arrête, je fus pris du vertige de l’athéisme ; fier d’avoir monté si haut, je ne voulus pas comprendre que j’avais à peine atteint le premier degré de la science de Dieu, parce que je pouvais expliquer avec une certaine logique le mécanisme de l’univers, et que pourtant je ne pouvais pénétrer la pensée qui avait présidé à cette création. Je me plus à ne voir dans l’univers qu’une machine et à supprimer la pensée divine comme un élément inutile à la formation et à la durée des mondes. Je m’habituai à rechercher partout l’évidence et à mépriser le sentiment, comme s’il n’était pas une des principales conditions de la certitude. Je me fis donc une manière étroite et grossière de voir, d’analyser et de définir les choses ; et je devins le plus obstiné, le plus vain et le plus borné des savans.

Dix ans de ma vie s’écoulèrent dans ces travaux ignorés, dix ans qui tombèrent dans l’abîme sans faire croître un brin d’herbe sur ses bords. Je me débattis long-temps contre le froid de la raison. À mesure que je m’emparais de cette triste conquête, j’en étais effrayé, et je me demandais ce que je ferais de mon cœur si jamais il venait à se réveiller. Mais peu à peu les plaisirs de la vanité satisfaite étouffaient cette inquiétude. On ne se figure pas ce que l’homme voué en apparence aux occupations les plus graves y porte d’inconséquence