ouvrage, à l’auteur pendant toute sa vie, et après la mort de celui-ci, à ses héritiers ou cessionnaires, pendant trente ans. Cette disposition s’applique également aux ouvrages destinés à la représentation scénique, aux produits des arts du dessin, aux compositions musicales. Le terme proposé concilie, selon nous, la reconnaissance due au génie, les intérêts du commerce, et les droits du public qui, ainsi qu’il est dit ingénieusement dans le rapport, entre toujours pour quelque chose dans la composition et le succès d’un livre. La possession littéraire absolue, et perpétuellement transmissible, serait choquante, peut-être même impraticable : elle donnerait bientôt de scandaleux démentis au sens moral de la loi qui a pour but de faire rejaillir sur les noms célèbres cette sorte de considération attachée à la fortune. Assurément, pour les ouvrages qui doivent retentir dans la postérité, une exploitation de trente ans après la mort de l’auteur est plus que suffisante pour assurer honorablement l’avenir d’une famille. Les cinq premiers titres du projet de loi obtiendront sans difficulté la sanction des chambres. Si quelques réclamations devaient être faites, ce serait en faveur des libraires auxquels on demande cinq exemplaires pour le dépôt légal[1], au lieu de deux qu’on exige aujourd’hui. L’impôt qui résulterait de cette mesure serait doublement onéreux, et par la valeur positive des ouvrages déposés, et par la multiplication, plus nuisible qu’on ne l’imagine, des lieux de lecture gratuite.
Malheureusement, les dispositions qui, pour ainsi dire, donnent un état civil à la littérature, ne concernent qu’un petit nombre de privilégiés. Les ouvrages assez fortement constitués pour donner lieu, après un demi-siècle, à une opération commerciale, ne seront jamais que de rares exceptions. Le plus notable intérêt de la loi nouvelle réside, selon nous, dans les derniers articles. Ce sont ceux qui ont rapport à la contrefaçon, véritable plaie qui ronge indistinctement la noblesse littéraire et le menu peuple d’écrivains groupés autour d’elle. La contrefaçon est un de ces ennemis publics contre lesquels chacun devrait s’armer. Pour notre part, c’est après avoir réfléchi longuement sur les divers moyens de répression proposés jusqu’ici, après avoir recueilli des renseignemens, et consulté l’expérience des libraires, que nous nous croyons en mesure de présenter quelques observations utiles.
Établissons d’abord une importante distinction entre la contrefaçon intérieure et la contrefaçon étrangère. La première, qui s’exerce clandestinement et qui présente ordinairement les caractères du faux matériel, a toujours été réprouvée et poursuivie comme un délit. Il paraît néanmoins que, sous l’ancienne législation, les libraires de province étaient souvent réduits au triste métier de faussaires. Ne pouvant disputer à leurs confrères de Paris l’autorisation de publier les livres nouveaux, ni, pour les anciens ouvrages, le renouvellement des priviléges épuisés, ils protestaient par un abus coupable
- ↑ Le chiffre des exemplaires à déposer fut fixé à 2 en 1617, puis élevé à 8 en 1708, réduit à 2 en 1793, porté à 5 en 1812, et enfin ramené, par une ordonnance royale du 9 janvier 1828, à 2 exemplaires pour les imprimés et à 5 pour les planches gravées.