Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/390

Cette page a été validée par deux contributeurs.
386
REVUE DES DEUX MONDES.

rien de précis ni de définitif. On sent presque à chaque page que l’auteur se contente d’un à peu près ; qu’il pourrait mieux faire ; qu’il ne se donne pas la peine de trier ses pensées ; qu’il accepte avec empressement toutes celles qui lui arrivent, qu’il ne prend pas le temps de se montrer sévère.

Nous insistons d’autant plus volontiers sur ce reproche, qu’il peut s’appliquer au plus grand nombre des œuvres contemporaines. M. Soulié est coupable envers ses lecteurs, coupable envers lui-même ; mais il a pour s’excuser, sinon pour se justifier, des exemples imposans. Quand l’auteur des Méditations et des Harmonies pétrit à la hâte un poème de douze mille vers, peut-on s’étonner que M. Soulié se contente d’une ébauche et ne prenne pas le temps de traiter le sujet qu’il a choisi, selon l’étendue de ses facultés. Il est pour nous hors de doute que M. Soulié est capable d’une œuvre très supérieure à Diane de Chivri. Mais, pour accomplir cette œuvre, que nous souhaitons, que nous espérons, il faut qu’il se résigne à ne pas improviser. S’il veut faire en trois mois l’œuvre d’une année, il sera toujours au-dessous de lui même. Il aura beau s’évertuer, fouiller dans ses souvenirs, feuilleter la mémoire de ses amis, il ne donnera jamais sa mesure. Il sera toujours forcé de s’avouer qu’il n’a pas mené à bout sa pensée. Tant qu’il mettra son imagination en coupe réglée, il sera pour lui-même un juge plus sévère que nous.

Le procès que j’entame ici contre M. Soulié est d’une gravité que personne ne méconnaîtra. Ce qui manque, en effet, aux écrivains de nos jours, ce n’est ni la sagacité, ni l’invention, ni le savoir, ni le sentiment de l’élégance ; c’est la patience. Pour ne pas laisser échapper l’inspiration, chacun se croit obligé d’improviser. Pour éviter la sécheresse, on s’interdit les ratures. On est si pressé d’écrire, qu’on ne prend pas le temps de penser ; mais ce régime est mortel, et les plus fortes intelligences succombent sous le poids de cette perpétuelle improvisation. Peu à peu toutes les idées, à peine entrevues, finissent par avoir la même valeur. Le hasard décide en maître souverain de la composition et du style. Quelquefois nous gagnons à cette loterie capricieuse un poème éclatant ; mais la beauté vraie, la beauté complète n’est jamais l’œuvre du hasard, et notre admiration pour ces poèmes improvisés n’est pas exempte de regrets.

On reproche à la poésie française du XVIIe siècle sa régularité, sa monotonie, sa froideur ; ces accusations ne sont pas absolument injustes. Mais il faut bien reconnaître que ces œuvres, qui nous paraissent, à de certaines heures, immobiles et muettes, ont une valeur que nous chercherions vainement dans la plupart des poèmes de notre temps. Elles ont une vie qui leur est propre, qui défie nos railleries, qui résiste à l’analyse, et cette vie est fille de la patience. Elles nous semblent parfois guindées dans leur majesté ; mais il nous arrive souvent de les contempler avec une joie sérieuse, parce qu’elles ne manquent jamais d’exprimer une pensée.

Or, la pensée qui respire dans les œuvres poétiques du XVIIe siècle n’est pas née en une heure, en un jour. Elle s’est développée lentement ; elle s’est