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l’intéresser, et il fatigue l’attention par des détails mesquins et puérils. Il nous importe peu assurément que M. Édouard Corbey paie quatre francs par jour une chambre dans un hôtel garni, et qu’en additionnant ses dépenses de la journée il trouve un total de vingt-deux francs. Le chiffre de sa pension et de ses appointemens ne nous intéresse pas davantage. Quant à la société provinciale dans laquelle Honoré Cimaise se trouve introduit, elle offrirait peut-être des originaux dignes de figurer dans un roman ; mais, pour mériter notre attention, il faudrait que ces personnages eussent le temps de poser devant nous, d’agir et de vivre sous nos yeux. Or, c’est précisément ce qui n’arrive pas. À peine ont-ils paru qu’ils disparaissent, et leur souvenir n’est qu’un embarras qui porte préjudice au récit. Les malices et les médisances de Mme du Hauterre excitent notre impatience, parce qu’elles ne servent à rien ; pour la prendre au sérieux, pour l’écouter avec intérêt, nous aurions besoin de la voir se mêler à l’action.

Après avoir présenté ces réserves, qu’on ne saurait sans injustice accuser de malveillance, nous sommes heureux de pouvoir, sans manquer à la franchise, recommander Diane de Chivri comme un récit très intéressant. Ce roman une fois entamé, il est difficile de l’abandonner avant d’avoir achevé la dernière page. Tous les personnages ont un rôle nettement déterminé et demeurent fidèles au caractère que l’auteur leur a donné. Mme de Kermic est une figure vénérable, pleine de grandeur et de simplicité ; Diane de Chivri, sa petite-fille, est dessinée avec une vérité touchante. Elle nous émeut et nous charme chaque fois qu’elle entre en scène, et l’auteur a été assez heureux pour ne pas faire d’une aveugle de seize ans un personnage de mélodrame. Diane, dans sa mélancolie, dans son désespoir, ne se laisse jamais aller à la déclamation. Dans ses accens les plus douloureux, elle ne cesse jamais d’être vraie. C’est, à notre avis, une des figures les plus gracieuses et les plus intéressantes que M. Soulié ait jamais conçues, et nous souhaitons sincèrement qu’il nous en offre souvent de pareilles. Le père et les trois frères de Diane, M. de Chivri, George, Philippe et Martial, ne sont pas moins habilement tracés. Le père est d’une sévérité inflexible ; George et Philippe se dévouent sans réserve à la réhabilitation de leur famille, et jouent leur vie avec une loyauté chevaleresque pour laver la honte de leur sœur. Quant à Martial, que son père et ses frères refusent d’initier à leurs projets de vengeance, il montre un orgueil plein de noblesse, une impatience, une curiosité qui contraste heureusement avec sa nature chétive et souffrante. Il justifie son indiscrétion, il revendique ses droits avec une hardiesse au-dessus de son âge et se concilie rapidement notre sympathie. M. de Furières, qui se donne pour Léonard Asthon, est d’une lâcheté misérable ; mais ce type, si hideux qu’il soit, n’est cependant pas impossible, et quoiqu’il semble appartenir au mélodrame, nous concevons cependant qu’il figure dans un roman très sérieux et très vraisemblable. Quant à Léonard Asthon, il résume toutes les vertus que peuvent rêver les héroïnes les plus exigeantes. Il est brave,