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REVUE DES DEUX MONDES.

Cor tibi ritè salit .......[1].

Au sein de cette future édition difficile, mais possible, d’André Chénier, on trouverait moyen de retoucher avec nouveauté les profils un peu évanouis de tant de poètes antiques ; on ferait passer devant soi toutes les fines questions de la poétique française ; on les agiterait à loisir. Il y aurait là, peut-être, une gloire de commentateur à saisir encore ; on ferait son œuvre et son nom, à bord d’un autre, à bord d’un charmant navire d’ivoire. J’indique, je sens cela, et je passe. Apercevoir, deviner une fleur ou un fruit derrière la haie qu’on ne franchira pas, c’est là le train de la vie.
Ai-je trop présumé pourtant, en un moment de grandes querelles politiques et de formidables assauts, à ce qu’on assure, de croire intéresser le monde avec ces débris de mélodie, de pensée et d’étude, uniquement propres à faire mieux connaître un poète, un homme, lequel, après tout, vaillant et généreux entre les généreux, a su, au jour voulu, à l’heure du danger, sortir de ses doctes vallées, combattre sur la brèche sociale, et mourir ?


Sainte-Beuve.
  1. On a quelquefois trouvé bien hardi ce vers du Mendiant :

    Le toit s’égaie et rit de mille odeurs divines ;

    il est traduit des Noces de Thétis et de Pélée :

    Queis permulsa domus jucundo risit odore.

    On est tenté de croire qu’André avait devant lui, sur sa table, ce poème entr’ouvert de Catulle, quand il renouvelait dans la même forme le poème mythologique. Puis, deux vers plus loin à peine, ce n’est plus Catulle ; on est en plein Lucrèce :

    Sur leurs bases d’argent, des formes animées
    Élèvent dans leurs mains des torches enflammées…

    Si non aurea sunt juvenum simulacra per ædes
    Lampadas igniferas manibus retinentia dextris
    .

    On a un échantillon de ce qu’il faudrait faire sur tous les points.