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DOCUMENS INÉDITS SUR ANDRÉ CHÉNIER.

même nous a étonné par la quantité de ces industrieuses coutures qu’il nous a révélées çà et là. Quand il n’a l’air que de traduire un morceau d’Euripide sur Médée :

Au sang de ses enfans, de vengeance égarée,
Une mère plongea sa main dénaturée, etc.,

il se souvient d’Ennius, de Phèdre, qui ont imité ce morceau ; il se souvient des vers de Virgile (églogue VIII), qu’il a, dit-il, autrefois traduits étant au collége. À tout moment, chez lui, on rencontre ainsi de ces réminiscences à triple fond, de ces imitations à triple suture. Son Bacchus, Viens, ô divin Bacchus ! ô jeune Thyonée ! est un composé du Bacchus des Métamorphoses, de celui des Noces de Thétis et de Pélée ; le Silène de Virgile s’y ajoute à la fin[1]. Quand on relit un auteur ancien, quel qu’il soit, et qu’on sait André par cœur, les imitations sortent à chaque pas. Dans ce fragment d’élégie :

Mais, si Plutus revient de sa source dorée
Conduire dans mes mains quelque veine égarée,
À mes signes, du fond de son appartement,
Si ma blanche voisine a souri mollement…

je croyais n’avoir affaire qu’à Horace :

Nunc et latentis proditor intimo
Gratus puellæ risus ab angulo
 ;

et c’est à Perse qu’on est plus directement redevable :

....Visa est si fortè pecunia, sive
Candida vicini subrisit molle puella
,

  1. Je trouve ces quatre beaux vers inédits sur Bacchus :

    C’est le dieu de Nisa, c’est le vainqueur du Gange,
    Au visage de vierge, au front ceint de vendange,
    Qui dompte et fait courber sous son char gémissant
    Du Lynx aux cent couleurs le front obéissant…

    J’en joindrai quelques autres sans suite, et dans le gracieux hasard de l’atelier qu’ils encombrent et qu’ils décorent :

    Bacchus, Hymen, ces dieux toujours adolescens…
    Vous, du blond Anio Naïade au pied fluide ;
    Vous, filles du Zéphyre et de la Nuit humide,
    Fleurs…
    Syrinx parle et respire aux lèvres du berger…
    Et le dormir suave au bord d’une fontaine…
    Et la blanche brebis de laine appesantie…