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précise du jour et de l’heure où elle fut commencée et achevée. La préface que le poète aurait esquissée pour le portefeuille perdu, et qui a été produite pour la première fois dans l’édition de 1833 (tome I, page 23), prouverait au plus un projet de choix et de copie au net, comme en méditent tous les auteurs. Bref, je me borne à dire, sur les trois portefeuilles, que je ne les ai jamais bien conçus ; qu’aujourd’hui que j’ai vu l’unique, c’est moins que jamais mon impression de croire aux autres, et que j’ai en cela pour garant l’opinion formelle de M. G. de Chénier, dépositaire des traditions de famille, et témoin des premiers dépouillemens. Je tiens de lui une note détaillée sur ce point ; mais je ne pose que l’essentiel, très peu jaloux de contredire. André Chénier voulait ressusciter la Grèce ; pourtant il ne faudrait pas, autour de lui, comme autour d’un manuscrit grec retrouvé au XVIe siècle, venir allumer, entre amis, des guerres de commentateurs : ce serait pousser trop loin la renaissance[1].

Voilà pour les préliminaires ; mais le principal, ce qui devrait former le corps même de l’édition désirée, ce qui, par la difficulté d’exécution, la fera, je le crains, long-temps attendre, je veux dire le commentaire courant qui y serait nécessaire, l’indication complète des diverses et multiples imitations, qui donc l’exécutera ? L’érudition, le goût d’un Boissonnade, n’y seraient pas de trop et de plus il y aurait besoin, pour animer et dorer la scholie, de tout ce jeune amour moderne que nous avons porté à André. On ne se figure pas jusqu’où André a poussé l’imitation, l’a compliquée, l’a condensée ; il a dit dans une belle épître :

Un juge sourcilleux, épiant mes ouvrages,
Tout à coup, à grands cris, dénonce vingt passages
Traduits de tel auteur qu’il nomme ; et, les trouvant,
Il s’admire et se plaît de se voir si savant.
Que ne vient-il vers moi ? Je lui ferai connaître
Mille de mes larcins qu’il ignore peut-être.
Mon doigt sur mon manteau lui dévoile à l’instant
La couture invisible et qui va serpentant,
Pour joindre à mon étoffe une pourpre étrangère…

Eh bien ! en consultant les manuscrits, nous avons été vers lui et lui-

  1. Pour certaines variantes du premier texte, on m’a parlé d’un curieux exemplaire de M. Jules Lefebvre, qui serait à consulter, ainsi que le docte possesseur. Je crois néanmoins qu’il ne faudrait pas, en fait de variantes, remettre en question ce qui a été un parti pris avec goût. Toute édition d’écrits posthumes et inachevés est une espèce de toilette qui a demandé quelques épingles : prenez garde de venir épiloguer après coup là-dessus.