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changer en droit légitime l’usurpation qui avait mis le sceptre dans la famille des Capets…[1].

« Le moment marqué pour le réveil de la raison et du courage du peuple français n’est arrivé que de nos jours. La nation venge, par une révolution à jamais mémorable, les maux qu’elle a soufferts pendant douze siècles et les crimes commis contre elle pendant une si longue oppression. Elle donne un grand exemple à l’univers —[2]. »


Il semble que rien ne puisse accroître l’étrange effet de ces pages empreintes, à la fois, de la douceur du sentiment paternel et de l’âpreté d’une conviction absolue qui transporte sa logique dans l’histoire ; et pourtant, les circonstances où elles furent écrites ajoutent à leur bizarrerie quelque chose de sombre. L’auteur alors était proscrit, emprisonné au Luxembourg, d’où il ne sortit que pour aller à l’échafaud, avec Despréménil et Chapelier, ses collègues à l’assemblée constituante, et Malesherbes, le défenseur de Louis XVI[3]. Il avait vu la puissance révolutionnaire, s’égarant et se dépravant par la longueur de la lutte, tomber, de classe en classe, jusqu’à la plus nombreuse, la moins éclairée et la plus violente dans ses passions politiques ; il avait vu trois générations d’hommes de parti régner et périr l’une après l’autre ; lui-même était arrêté comme ennemi de la cause du peuple, et sa foi dans l’œuvre de 1789 et dans l’avenir de la liberté n’était pas diminuée. On ne peut se défendre d’une émotion triste et pieuse quand on lit, en se recueillant et en faisant abstraction de l’absurdité des vues historiques, ce testament de mort de l’un des pères de la révolution française, ce témoignage d’adhésion inébranlable donné par lui à la révolution, au pied de l’échafaud, et sur le point d’y monter parce qu’elle le veut[4].


Augustin Thierry
  1. Ibid., pag. 129-131.
  2. Ibid., pag. 344
  3. 5 floréal an II, 22 avril 1794.
  4. « Mon malheureux père les composait (ces deux résumés) pour mon instruction dans la prison du Luxembourg, sous les yeux du citoyen François de Neufchâteau, dont il partageait la chambre, escalier de la liberté. Il s’attendait à la mort, qui était due à son innocence, et la précipitation avec laquelle il écrivait ne lui permit pas d’apercevoir, ou du moins d’effacer, quelques fautes de langage. » (Abrégé des révolutions de l’ancien gouvernement français, discours préliminaire de G.-T.-A. Thouret, pag. 9.)