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REVUE DES DEUX MONDES.

Qui fuit et se partage en des routes sans nombre,
Chacune autour de nous s’ouvre : et de toute part
Nous y pouvons au loin plonger un long regard. »

Belle image que celle du philosophe ainsi dans l’ombre, au carrefour du labyrinthe, comprenant tout, immobile ! Mais le poète n’est pas immobile long-temps :

« En poursuivant dans toutes les actions humaines les causes que j’y ai assignées, souvent je perds le fil, mais je le retrouve :

Ainsi, dans les sentiers d’une forêt naissante,
À grands cris élancée, une meute pressante,
Aux vestiges connus dans les zéphirs errans,
D’un agile chevreuil suit les pas odorans.
L’animal, pour tromper leur course suspendue,
Bondit, s’écarte, fuit, et la trace est perdue.
Furieux, de ses pas cachés dans ces déserts
Leur narine inquiète interroge les airs,
Par qui bientôt frappés de sa trace nouvelle,
Ils volent à grands cris sur sa route fidèle. »

La pensée suivante, pour le ton, fait songer à Pascal ; la brusquerie du début nous représente assez bien André en personne, causant :

« L’homme juge toujours les choses par les rapports qu’elles ont avec lui. C’est bête. Le jeune homme se perd dans un tas de projets comme s’il devait vivre mille ans. Le vieillard qui a usé la vie est inquiet et triste. Son importune envie ne voudrait pas que la jeunesse l’usât à son tour. Il crie : Tout est vanité ! — Oui, tout est vain sans doute, et cette manie, cette inquiétude, cette fausse philosophie, venue malgré toi lorsque tu ne peux plus remuer, est plus vaine encore que tout le reste. »

« La terre est éternellement en mouvement. Chaque chose naît, meurt et se dissout. Cette particule de terre a été du fumier, elle devient un trône, et, qui plus est, un roi. Le monde est une branloire perpétuelle, dit Montaigne ; (à cette occasion, les conquérans, les bouleversemens successifs des invasions, des conquêtes, d’ici de là…). Les hommes ne font attention à ce roulis perpétuel que quand ils en sont les victimes : il est pourtant toujours. L’homme ne juge les choses que dans le rapport qu’elles ont avec lui. Affecté d’une telle manière, il appelle un accident un bien ; affecté de telle autre manière il l’appellera un mal. La chose est pourtant la même, et rien n’a changé que lui.