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ainsi que l’on fit tels et tels dogmes, tels et tels dieux… mystères… initiations. Le peuple prit au propre ce qui était dit au figuré. C’est ici qu’il faut traduire une belle comparaison du poète Lucile, conservée par Lactance (Inst. div., liv. I, ch. XXII) :

Ut pueri infantes credunt signa omnia ahena
Vivere et esse homines, sic isti omnia ficta
Vera putant
[1]………

Sur quoi le bon Lactance, qui ne pensait pas se faire son procès à lui-même, ajoute, avec beaucoup de sens, que les enfans sont plus excusables que les hommes faits : Illi enim simulacra homines putant esse, hi deos[2]. »

Ce second chant devait renfermer le tableau des premières misères, des égaremens et des anarchies de l’humanité commençante. Les déluges, qu’il s’était d’abord proposé de mettre dans le premier chant, auraient sans doute mieux trouvé leur cadre dans celui-ci :

« Peindre les différens déluges qui détruisirent tout… La mer Caspienne, lac Aral et Mer Noire réunis… l’éruption par l’Hellespont… Les hommes se sauvèrent au sommet des montagnes :

Et vetus inventa est in montibus anchora summis.
(Ovide, liv. XV.)
La ville d’Ancyre fut fondée sur une montagne où l’on trouva une ancre. » Il voulait peindre les autels de pierre, alors posés au bord de la mer, et qui se trouvent aujourd’hui au-dessus de son niveau, les membres des grands animaux primitifs errant au gré des ondes,
  1. Comme les enfans prennent les statues d’airain au sérieux et croient que ce sont des hommes vivans, ainsi les superstitieux prennent pour vérités toutes les chimères.
  2. « Car ils ne prennent ces images que pour des hommes, et les autres les prennent pour des dieux. » — L’opposition entre ces pensées d’André et celles que nous ont laissées Vauvenargues ou Pascal, s’offre naturellement à l’esprit ; lui-même il n’est pas sans y avoir songé, et sans s’être posé l’objection. Je trouve cette note encore : « Mais quoi ? tant de grands hommes ont cru tout cela… Avez-vous plus d’esprit, de sens, de savoir ?… Non ; mais voici une source d’erreur bien ordinaire : beaucoup d’hommes, invinciblement attachés aux préjugés de leur enfance, mettent leur gloire, leur piété, à prouver aux autres un système avant de se le prouver à eux-mêmes. Ils disent : Ce système, je ne veux point l’examiner pour moi. Il est vrai, il est incontestable, et, de manière ou d’autre, il faut que je le démontre. — Alors, plus ils ont d’esprit, de pénétration, de savoir, plus ils sont habiles à se faire illusion, à inventer, à unir, à colorer les sophismes, à tordre et défigurer tous les faits pour en étayer leur échafaudage… Et pour ne citer qu’un exemple et un grand exemple, il est bien clair que, dans tout ce qui regarde la métaphysique et la religion, Pascal n’a jamais suivi une autre méthode. » Cela est beaucoup moins clair pour nous aujourd’hui que pour André, qui ne voyait Pascal que dans l’atmosphère d’alors, et, pour ainsi dire, à travers Condorcet.