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DE L’IRLANDE.

prochée par tant de circonstances, sont animés d’une même foi religieuse ; ils reçoivent les mêmes enseignemens de la bouche d’un clergé également populaire. D’où vient donc cette opposition profonde dans l’ensemble de la condition sociale ? Comment l’expliquer autrement que par les antécédens historiques et le testament de vengeance légué en Irlande aux générations à venir ? Le Breton se résigne sans effort à une pauvreté dont rien ne vient aggraver le poids ; il ne se croit pas, comme l’Irlandais, dépouillé par la tyrannie ; sa pensée ne se berce pas des rêves d’une félicité primitive et de la dangereuse poésie d’un âge d’or. La religion, qui, pour lui, n’a que des paroles de paix, répand sur sa vie la sérénité, si ce n’est le bonheur, et la pensée chrétienne se produit en son ame sans mélange d’amers ressouvenirs et d’impressions haineuses. Les propriétaires sont ses soutiens, au lieu de lui apparaître comme des ennemis héréditaires ; ses prêtres répandent sur lui le surplus d’une aisance que la charité publique rend abondante, et les souffrances de son corps n’atteignent pas son ame dans la plus noble partie d’elle-même. Le fils de la Bretagne ne voit pas s’élever à côté de sa cabane l’opulente demeure de l’étranger, ou près de son modeste presbytère la maison d’un ministre dont il doit alimenter le luxe par son travail, et le clocher de son église chérie monte seul et fier au-dessus des habitations des hommes. Il peut se promener avec orgueil sur ses grèves et dans ses bruyères ; aucun monument de servitude n’y vient humilier son regard, et du haut du dolmen druidique le souvenir de ses pères descend sur lui sans nuage.

Le passé, voilà ce qui pèse si douloureusement sur l’Irlande ; c’est là l’obstacle que l’Angleterre n’écartera qu’à force de patience et de temps, de persévérance et de sincérité. En vain tous les systèmes ont-ils été appliqués, toutes les combinaisons épuisées, tout, hors la justice, hors la ferme volonté d’effacer enfin jusqu’aux dernières traces de la suprématie religieuse et politique, en admettant les deux peuples à la pleine jouissance des mêmes droits, sur le pied d’une parfaite égalité. Après avoir fait, pendant deux siècles, du parlement de Dublin une machine de guerre, et comme un instrument de servitude pour la masse de la population indigène, l’Angleterre espéra rendre la soumission de l’Irlande plus facile en lui retirant ce triste et dernier simulacre d’indépendance. Cependant M. Pitt avait à peine obtenu le vote de l’union[1], sur le coup d’une insurrection à peine

  1. L’acte d’union régissant aujourd’hui les rapports des deux royaumes et leur organisa-