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DES SYSTÈMES HISTORIQUES.

consulat, est demeurée inébranlable au milieu des secousses et des changemens politiques. Toutes les tentatives faites, durant l’intervalle, pour se rattacher au monde des républiques anciennes, à ce monde idéal de Mably et de Jean-Jacques Rousseau, ont avorté et disparu, ne laissant après elles que des souvenirs tristes et une répugnance nationale qui va jusqu’à l’aversion. Depuis 1791, les constitutions ont passé vite et changé souvent ; elles changeront sans doute encore, elles sont le vêtement de la société ; mais, sous cet extérieur qui varie, quelque chose d’immuable se perpétuera, l’unité sociale, l’indivisibilité du territoire, l’égalité civile et la centralisation administrative.

Les noms des grands orateurs de l’assemblée constituante sont aujourd’hui célèbres et leur biographie est populaire ; mais il y eut au-dessous d’eux, dans cette assemblée, une foule d’hommes d’une merveilleuse activité d’esprit, dont les motions devinrent des lois, et qui, pour récompense, n’ont guère obtenu qu’une renommée collective. Au premier rang de ces génies pratiques, il faut placer Thouret, député du tiers-état de Rouen, membre du comité de constitution, élu quatre fois président de l’assemblée nationale, et, après 1791, nommé président du tribunal de cassation qu’il avait proposé d’établir. Cet homme, à qui revient une grande part dans les travaux les plus glorieux de l’assemblée constituante, éprouva, quand il eut fini sa tâche de législateur, le besoin de renouer la chaîne des souvenirs que la révolution semblait rompre, et de rattacher le nouvel œuvre social aux origines même de notre histoire. Pour satisfaire ce besoin d’un esprit éminemment logique, Thouret ne s’adressa ni aux textes originaux, ni aux œuvres des bénédictins, il était trop pressé de conclure, et ce fut dans les systèmes faits avant lui qu’il chercha les données et les matériaux du sien. Par un éclectisme tout nouveau, il adopta à la fois deux de ces systèmes et il les réunit ensemble, dans le même livre, sans s’inquiéter de les concilier. Son Abrégé des révolutions de l’ancien gouvernement français se compose d’un précis pur et simple de l’ouvrage de Dubos et d’un précis raisonné de l’ouvrage de Mably[1].

Ce fut pour Dubos, en plein discrédit depuis quarante ans, un commencement de réhabilitation, et, dans cette confiance rendue à un écrivain dédaigné, il est permis de voir autre chose qu’un ca-

  1. Abrégé des révolutions de l’ancien gouvernement français, ouvrage élémentaire extrait de l’abbé Dubos et de l’abbé Mably.