Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/348

Cette page a été validée par deux contributeurs.
344
REVUE DES DEUX MONDES.

cipales consistaient à implanter, dans un délai fixé, sur les domaines ainsi octroyés, un nombre déterminé de familles anglaises ou écossaises, et à y construire des maisons fortifiées, qui servaient à la fois de points de défense et de bâtimens d’exploitation. Partout où prévalut ce système, la soumission des indigènes fut garantie ; réduits dès-lors à vivre en parias, sous des maîtres usurpateurs du sol de leurs pères, ils formèrent cette classe de laboureurs sans capitaux et sans industrie, qui pullule dans les provinces irlandaises.

Mais des évènemens d’un caractère plus sombre allaient tracer en lettres de sang l’acte de séparation de l’Angleterre et de l’Irlande.

La grande insurrection de 1641 éclata, provoquée par une résistance générale à l’oppression civile et religieuse. Les vieux colons, contraints de plier sous l’acte de suprématie, ou de subir des pénalités terribles ; les indigènes, dépouillés de leurs domaines et traqués au pied des autels, mirent en oubli leur vieille haine, et marchèrent ensemble contre les nouveaux envahisseurs que l’Angleterre jetait chaque jour sur ces tristes rivages. On connaît cette lutte sans exemple dans l’histoire des nations, qui aboutit à confiner un peuple tout entier dans une seule province, vaste sépulcre ouvert à ceux qui survécurent à la destruction de la patrie. La spoliation et le glaive se lassèrent de choisir, et pour Cromwell l’Irlande n’eut vraiment qu’une seule tête. La confiscation atteignit la nation tout entière, et le sol fut bouleversé jusqu’aux abîmes. Alors s’établit dans ce pays un nouvel intérêt à côté de ceux qui le divisaient déjà si profondément, l’intérêt presbytérien, qui partage aujourd’hui avec l’église épiscopale la population protestante de l’Irlande en deux parties à peu près égales. Des soldats furent les missionnaires de ce culte ; et, si leur épée ne lui fit pas de prosélytes, elle leur procura des lambeaux de cette terre mise au pillage. Derniers venus à cette vaste curée, les puritains surent se faire la part bonne et la conserver au milieu des vicissitudes du temps.

La restauration trouva la population irlandaise à moitié détruite et à moitié transplantée, les titres de propriété anéantis, la haine et le désespoir au fond de toutes les ames. Elle ne s’engagea pas dans le dédale de tels redressemens, et, sanctionnant des iniquités que leur immensité même dérobait à l’action de la justice humaine, elle ne trouva guère, dans tout cela, que l’occasion de servir des intérêts particuliers dans des vues d’égoïsme et de parti. Après 1688, Jacques II, accueilli en Irlande bien moins par sympathie pour lui-même que comme instrument de vengeance contre l’Angleterre, essaya de