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dans sa politique à l’égard de l’Irlande. Les chefs indigènes qui, pour obtenir des secours contre leurs rivaux, avaient été conduits à la reconnaître, croyaient en faire assez pour le roi de l’île voisine en lui rendant quelques devoirs insignifians, et en l’entourant d’un sauvage cortége lorsqu’il apparaissait en personne dans sa seigneurie d’Irlande. Ces chefs entendaient, du reste, continuer d’appliquer leurs antiques coutumes ; et jusque dans les limites du Pale, barrière que ne dépassaient pas les envahisseurs, les clans alliés maintenaient avec un saint respect les lois des Bréhons, en face des statuts rendus par le parlement irlandais ou importés d’Angleterre. D’un autre côté, les seigneurs auxquels la couronne avait accordé une investiture à peu près nominale, et dont elle avait subi les conditions plutôt qu’elle n’avait fait les siennes avec eux, ne prirent conseil que de leur ambition, toutes les fois qu’il put s’agir d’étendre leurs domaines, même au mépris de la foi jurée. Ils se mirent bien plus en peine de leurs intérêts particuliers que des intérêts de l’établissement anglais en Irlande. De là des violences qui contribuèrent à faire triompher des cupidités personnelles, mais au prix d’une haine chaque jour plus vive et de périls plus imminens. Dans cette lamentable histoire, les torts de la royauté tiennent bien plus à son éloignement et à sa faiblesse qu’à de mauvais desseins et à des préméditations condamnables. L’Irlande, pour être juste, aurait bien moins à lui reprocher une oppression systématique qu’une impuissance peut-être plus désastreuse encore.

Les natifs, de plus en plus pressés par les seigneurs, s’adressèrent vainement au trône pour en recevoir une protection qu’il eût, sans doute, été dans ses désirs comme dans ses intérêts de leur accorder, mais que l’indépendance à peu près complète des grands feudataires irlandais, dans le cours des XIIIe et XIVe siècles, rendait évidemment impossible. Privés dès-lors de tout espoir de redressement, ils ne comptèrent plus que sur eux-mêmes ; et chaque rocher du rivage, chaque forêt de l’intérieur devint une citadelle dans cette guerre acharnée qu’alimenta le sang de tant de générations, et dont les feux mal éteints ont failli si souvent se rallumer de nos jours.

Tant que les dissensions religieuses ne vinrent pas intéresser les passions populaires dans les affaires d’Irlande et donner à celles-ci un caractère tout nouveau, l’Angleterre fit des vœux toujours sincères, et des efforts quelquefois efficaces pour hâter les progrès et la pacification de la vaste contrée nominalement soumise à sa puissance. Nous venons de dire qu’à cet égard elle manqua de force ; il