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viendront les organes au sein du parlement anglais. L’Irlande entamera l’unité de l’Angleterre aristocratique et protestante par la violence de ses passions politiques, destinées à survivre à la lutte nationale, et par le prosélytisme inhérent à sa foi religieuse ; elle sera pour l’édifice du Church and State comme un dissolvant irrésistible et une antithèse vivante.

Jusqu’ici ce pays a toujours montré l’insurrection en perspective ; admis bientôt à la plénitude des droits politiques, il s’appuiera sur une force plus redoutable, sur la puissance d’une idée. Par l’Irlande et par l’union législative, on peut l’affirmer déjà sans témérité, périra la constitution britannique, qui traverserait de longs siècles encore si des mains anglaises devaient seules l’attaquer. Sous les coups de cette contrée si long-temps esclave succombera l’aristocratie anglicane avec les institutions politiques et religieuses qui la protègent : pressentiment qui, depuis long-temps, n’échappe ni à l’une ni à l’autre ; destinée singulière qui explique la haine de celle-ci, et que celle-là pourra présenter aux nations comme un éclatant exemple de la justice divine.

Quel évènement a donc élevé entre deux peuples que tous leurs intérêts matériels rapprochent, cette infranchissable barrière ? Comment ces deux sources n’ont-elles pas depuis long-temps confondu leurs eaux dans un même océan, et d’où vient qu’on peut, dès à présent, pressentir entre ces deux élémens une guerre qui, plus que toute autre cause, hâtera la chute du plus durable édifice élevé par la main des hommes ?

Ce n’est pas du fait de la conquête normande que l’Irlande souffre et gémit au temps actuel ; ce n’est pas l’expédition de Henri II et la bulle d’Adrien IV qui ont, depuis deux siècles, placé ce pays dans une attitude presque constante d’insurrection. La perte d’une nationalité primitive est chose douloureuse sans aucun doute, et les peuples reportent long-temps leur pensée vers ce souvenir, comme les hommes vers leur jeunesse ; mais les écrivains les plus chaleureusement dévoués au culte des causes vaincues confessent, sans hésiter, que la suite des âges cicatrise de telles blessures. Le nier serait prétendre que les bourgeois de Londres maudissent à l’heure qu’il est la mémoire des compagnons de Guillaume-le-Bâtard, bien qu’ils ne manquent jamais de dire avec plus d’orgueil que de vérité : nos ancêtres les Normands ; ce serait admettre que les Gaulois gardent encore rancune aux Francs, les Espagnols aux Goths, les Italiens aux Lombards. La chrétienté s’est constituée par la conquête ;