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L’ABBESSE DE CASTRO.

une telle démarche utile pour conjurer ta colère. Ah ! comme je me livrerais à toi dans ce moment, si j’en avais les moyens ! comme je courrais à cette église où l’on doit nous marier ! »

Cette lettre finit par deux pages de phrases folles, et dans lesquelles j’ai remarqué des raisonnemens passionnés qui semblent imités de la philosophie de Platon. J’ai supprimé plusieurs élégances de ce genre dans la lettre que je viens de traduire.

Jules Branciforte fut bien étonné en la recevant une heure environ avant l’Ave Maria du soir ; il venait justement de terminer les arrangemens avec le prêtre. Il fut transporté de colère. — Elle n’a pas besoin de me conseiller de l’enlever, cette créature faible et pusillanime ! — Et il partit aussitôt pour la forêt de la Faggiola.

Voici quelle était, de son côté, la position de la signora de Campireali : son mari était sur son lit de mort, l’impossibilité de se venger de Branciforte le conduisait lentement au tombeau. En vain il avait fait offrir des sommes considérables à des bravi romains ; aucun n’avait voulu s’attaquer à un des caporaux, comme ils disaient, du prince Colonna ; ils étaient trop assurés d’être exterminés eux et leurs familles. Il n’y avait pas un an qu’un village entier avait été brûlé pour punir la mort d’un des soldats de Colonna, et tous ceux des habitans, hommes et femmes, qui cherchaient à fuir dans la campagne, avaient eu les mains et les pieds liés par des cordes, puis on les avait lancés dans des maisons en flammes.

La signora de Campireali avait de grandes terres dans le royaume de Naples ; son mari lui avait ordonné d’en faire venir des assassins, mais elle n’avait obéi qu’en apparence : elle croyait sa fille irrévocablement liée à Jules Branciforte. Elle pensait, dans cette supposition, que Jules devait aller faire une campagne ou deux dans les armées espagnoles, qui alors faisaient la guerre aux révoltés de Flandre. S’il n’était pas tué, ce serait, pensait-elle, une marque que Dieu ne désapprouvait pas un mariage nécessaire ; dans ce cas, elle donnerait à sa fille les terres qu’elle possédait dans le royaume de Naples ; Jules Branciforte prendrait le nom d’une de ces terres, et il irait avec sa femme passer quelques années en Espagne. Après toutes ces épreuves, peut-être elle aurait le courage de le voir. Mais tout avait changé d’aspect par l’aveu de sa fille : le mariage n’était plus une nécessité ; bien loin de là, et pendant qu’Hélène écrivait à son amant la lettre que nous avons traduite, la signora Campireali écrivait à Pescara et à Chieti, ordonnant à ses fermiers de lui envoyer à Castro des gens sûrs et capables d’un coup de main. Elle ne leur cachait