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enfin, sur le soir, Hélène écrivit à son amant une lettre naïve et, selon nous, bien touchante, dans laquelle elle lui racontait les combats qui avaient déchiré son cœur. Elle finissait par lui demander à genoux un délai de huit jours : « En récrivant, ajoutait-elle, cette lettre, qu’un messager de ma mère attend, il me semble que j’ai eu le plus grand tort de lui tout dire. Je crois te voir irrité, tes yeux me regardent avec haine ; mon cœur est déchiré des remords les plus cruels. Tu diras que j’ai un caractère bien faible, bien pusillanime, bien méprisable ; je te l’avoue, mon cher ange. Mais figure-toi ce spectacle : ma mère, fondant en larmes, était presque à mes genoux. Alors il a été impossible pour moi de ne pas lui dire qu’une certaine raison m’empêchait de consentir à sa demande ; et, une fois que je suis tombée dans la faiblesse de prononcer cette parole imprudente, je ne sais ce qui s’est passé en moi, mais il m’est devenu comme impossible de ne pas raconter tout ce qui s’était passé entre nous. Autant que je puis me le rappeler, il me semble que mon ame, dénuée de toute force, avait besoin d’un conseil. J’espérais le rencontrer dans les paroles d’une mère… J’ai trop oublié, mon ami, que cette mère si chérie avait un intérêt contraire au tien. J’ai oublié mon premier devoir, qui est de t’obéir, et apparemment que je ne suis pas capable de sentir l’amour véritable, que l’on dit supérieur à toutes les épreuves. Méprise-moi, mon Jules ; mais, au nom de Dieu, ne cesse pas de m’aimer. Enlève-moi, si tu veux, mais rends-moi cette justice que, si ma mère ne se fût pas trouvée présente au couvent, les dangers les plus horribles, la honte même, rien au monde n’aurait pu m’empêcher d’obéir à tes ordres. Mais cette mère est si bonne ! elle a tant de génie ! elle est si généreuse ! Rappelle-toi ce que je t’ai raconté dans le temps : lors de la visite que mon père fit dans ma chambre, elle sauva tes lettres que je n’avais plus aucun moyen de cacher ; puis, le péril passé, elle me les rendit sans vouloir les lire et sans ajouter un seul mot de reproche ! Eh bien ! toute ma vie elle a été pour moi comme elle fut en ce moment suprême. Tu vois si je devrais l’aimer, et pourtant, en t’écrivant (chose horrible à dire), il me semble que je la hais. Elle a déclaré qu’à cause de la chaleur elle voulait passer la nuit sous une tente dans le jardin ; j’entends les coups de marteau, on dresse cette tente en ce moment ; impossible de nous voir cette nuit. Je crains même que le dortoir des pensionnaires ne soit fermé à clé, ainsi que les deux portes de l’escalier tournant, chose que l’on ne fait jamais. Ces précautions me mettraient dans l’impossibilité de descendre au jardin, quand même je croirais