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L’ABBESSE DE CASTRO.

elle engagea son ami à revenir le lendemain. Cette nuit-là, veille d’une grande fête, les matines se chantaient de bonne heure, et leur intelligence pouvait être découverte. Jules, qui raisonnait comme un amoureux, sortit du jardin profondément pensif ; il ne pouvait fixer ses incertitudes sur le point de savoir s’il avait été bien ou mal reçu ; et comme les idées militaires, inspirées par les conversations avec ses camarades, commençaient à germer dans sa tête : — Un jour, se dit-il, il faudra peut-être en venir à enlever Hélène. — Et il se mit à examiner les moyens de pénétrer de vive force dans ce jardin. Comme le couvent était fort riche et fort bon à rançonner, il avait à sa solde un grand nombre de domestiques la plupart anciens soldats ; on les avait logés dans une sorte de caserne dont les fenêtres grillées donnaient sur le passage étroit qui, de la porte extérieure du couvent percée au milieu d’un mur noir de plus de quatre-vingts pieds de haut, conduisait à la porte intérieure gardée par la sœur tourière. À gauche de ce passage étroit s’élevait la caserne, à droite le mur du jardin haut de trente pieds. La façade du couvent, sur la place, était un mur grossier noirci par le temps, et n’offrait d’ouvertures que la porte extérieure et une seule petite fenêtre par laquelle les soldats voyaient les dehors. On peut juger de l’air sombre qu’avait ce grand mur noir percé uniquement d’une porte renforcée par de larges bandes de tôle attachées par d’énormes clous et d’une seule petite fenêtre de quatre pieds de hauteur sur dix-huit pouces de large.

Nous ne suivrons point l’auteur original dans le long récit des entrevues successives que Jules obtint d’Hélène. Le ton que les deux amans avaient ensemble était redevenu parfaitement intime, comme autrefois dans le jardin d’Albano ; seulement Hélène n’avait jamais voulu consentir à descendre dans le jardin. Une nuit, Jules la trouva profondément pensive : sa mère était arrivée de Rome pour la voir et venait s’établir pour quelques jours dans le couvent. Cette mère était si tendre, elle avait toujours eu des ménagemens si délicats pour les affections qu’elle supposait à sa fille, que celle-ci sentait un remords profond d’être obligée de la tromper ; car, enfin, oserait-elle jamais lui dire qu’elle recevait l’homme qui l’avait privée de son fils ? Hélène finit par avouer franchement à Jules que, si cette mère si bonne pour elle l’interrogeait d’une certaine façon, jamais elle n’aurait la force de lui répondre par des mensonges. Jules sentit tout le danger de sa position ; son sort dépendait du hasard qui pouvait dicter un mot à la signora de Campireali. La nuit suivante il parla ainsi d’un air résolu :