Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/313

Cette page a été validée par deux contributeurs.
309
L’ABBESSE DE CASTRO.

bien, à travers le voile, les fenêtres qui éclairent le chœur, et que je puis distinguer jusqu’aux moindres détails de leur architecture. Chaque barreau de cette grille magnifiquement dorée portait une forte pointe dirigée contre les assistans.

Jules choisit une place très apparente, vis-à-vis la partie gauche de la grille, dans le lieu le mieux éclairé ; là il passait sa vie à entendre des messes. Comme il ne se voyait entouré que de paysans, il espérait être remarqué, même à travers le voile noir qui garnissait l’intérieur de la grille. Pour la première fois de sa vie, ce jeune homme simple cherchait l’effet ; sa mise était recherchée ; il faisait de nombreuses aumônes en entrant dans l’église et en sortant. Ses gens et lui entouraient de prévenances tous les ouvriers et petits fournisseurs qui avaient quelques relations avec le couvent. Ce ne fut toutefois que le troisième jour qu’enfin il eut l’espoir de faire parvenir une lettre à Hélène. Par ses ordres, l’on suivait exactement les deux sœurs converses chargées d’acheter une partie des approvisionnemens du couvent ; l’une d’elles avait des relations avec un petit marchand. Un des soldats de Jules, qui avait été moine, gagna l’amitié du marchand, et lui promit un sequin pour chaque lettre qui serait remise à la pensionnaire Hélène de Campireali.

— Quoi ! dit le marchand à la première ouverture qu’on lui fit sur cette affaire, une lettre à la femme du brigand ! — Ce nom était déjà établi dans Castro, et il n’y avait pas quinze jours qu’Hélène y était arrivée : tant ce qui donne prise à l’imagination court rapidement chez ce peuple passionné pour tous les détails exacts.

Le petit marchand ajouta :

— Au moins, celle-ci est mariée ! Mais combien de nos dames n’ont pas cette excuse, et reçoivent du dehors bien autre chose que des lettres.

Dans cette première lettre, Jules racontait avec des détails infinis tout ce qui s’était passé dans la journée fatale marquée par la mort de Fabio. « Me haïssez-vous ? » disait-il en terminant.

Hélène répondit par une ligne que, sans haïr personne, elle allait employer tout le reste de sa vie à tâcher d’oublier celui par qui son frère avait péri.

Jules se hâta de répondre ; après quelques invectives contre la destinée, genre d’esprit imité de Platon et alors à la mode :

« Tu veux donc, continuait-il, mettre en oubli la parole de Dieu à nous transmise dans les saintes écritures ? Dieu dit : La femme quittera sa famille et ses parens pour suivre son époux. Oserais-tu pré-