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moins voit des révolutions ; il les définit mal, il se trompe sur leurs causes, mais cette fabuleuse immobilité d’un droit public imaginaire ne se trouve pas parmi les vices de son système[1]. Quoiqu’il ait en histoire le jugement faux, il observe les règles de la méthode historique, il déduit chronologiquement ; l’entier oubli de ces règles élémentaires ne pouvait naître que d’une étude exclusive des documens législatifs séparée de l’histoire elle-même, que d’un travail tout spéculatif, où la chronologie ne jouerait aucun rôle. Et cependant, on doit le reconnaître, ce travail, chez Mlle de La Lézardière, est complet, ingénieux, souvent plein de sagacité. Elle paraît douée d’une remarquable puissance d’analyse ; elle cherche et pose toutes les question importantes, et ne les abandonne qu’après avoir épuisé, en grande partie, les textes qui s’y rapportent. Il ne lui arrive guère de se tromper grossièrement sur le sens et la portée des documens qu’elle met en œuvre, elle ne leur fait pas violence non plus d’une manière apparente ; elle les détourne peu à peu de leur signification réelle avec beaucoup de subtilité. En un mot, il n’y a pas ici, comme dans les systèmes précédens, un triage arbitraire des élémens primitifs de notre histoire ; ils sont tous reconnus, tous admis, et c’est par une suite de flexions graduelles et presque insensibles, qu’ils se dénaturent pour entrer et s’ordonner, au gré de l’auteur, dans le cadre de ses idées systématiques.

Soit modestie, soit crainte de heurter l’opinion dominante, Mlle de La Lézardière s’abstient de toute remarque sur l’ensemble du système de Mably. Sa polémique, dont elle est, du reste, assez sobre, est presque uniquement dirigée contre l’historiographe de France Moreau, écrivain personnellement nul, mais disciple de Dubos et exagérateur de son système. Il semble que l’entraînement du siècle vers la liberté politique conduisît à extirper une à une toutes les racines de ce système, qui, à l’établissement de la monarchie, ne savait montrer que deux choses, la royauté absolue et la liberté municipale. On avait contre la première une aversion de plus en plus

  1. C’est à la fin du règne de Charles-le-Chauve que s’arrêtent les deux premières parties de l’ouvrage, les seules qui aient été publiées. Dans sa préface, l’auteur annonçait comme achevée et prête pour l’impression la troisième partie, qui devait exposer les modifications et la tradition du droit public de la monarchie, depuis la division de l’ancien empire franc jusqu’au règne de Philippe-le-Bel. Il serait curieux de voir comment, avec son idée d’une constitution primitive exclusivement germanique, Mlle de La Lézardière envisageait, à l’époque du XIIe siècle, la renaissance du droit romain, la renaissance des villes municipales sous le nom de communes, et l’établissement de la puissance royale sur une nouvelle base, d’après des maximes toutes romaines.